A l’occasion de son passage à l’Institut Lumière, de la sortie de “Mad Detective” en salles, et prochainement de “The Sparrow”, retour sur l’œuvre récente de celui qui a été élu réalisateur de l’année 2007 avec “Exilé” par les lecteurs du site Asiexpo.
Vendredi 7 mars 2008, Johnnie To est l’invité de l’Institut Lumière, quelques jours après avoir été reçu à la Cinémathèque Française. Ceux qui ont eu la chance d’assister à cet événement ont découvert un artiste chaleureux, humble, ouvert et disponible, dont le nom est à présent inscrit sur fond doré rue du Premier Film, aux côtés des plus grands réalisateurs ayant visité l’Institut. Une nouvelle preuve de la reconnaissance de son talent, après les sélections de “Election” à Cannes en 2005, de “Exilé” et “Mad Detective” à Venise en 2006 et 2007, et de son petit dernier “The Sparrow” (à moins que le bonhomme, pour qui le terme productif est un euphémisme, n’ait achevé un nouveau film le temps que je termine cette phrase) à Berlin cette année. A Asiexpo, cette reconnaissance nous fait d’autant plus plaisir que nous n’avons pas attendu les trois dernières années pour être conscients de son talent. Nous vous proposions en effet “Fulltime Killer” en 2002, et “Running out of time” l’année suivante. Et vous non plus, vous ne vous êtes pas trompés sur la qualité des films du réalisateur, puisque avec 12,5% des voix, “Exilé” arrive en tête de vos votes pour le film asiatique de l’année 2007.
Avec près de 50 films au compteur, le système To est bien rôdé. Au sein de sa société de production Milkyway, il alterne œuvres commerciales et œuvres artistiquement plus ambitieuses, les premières, souvent réservées au marché local, permettent de financer les secondes, distribuées en Occident. C’est en nous plaçant en spectateur lambda, et en ne considérant que ces dernières que nous nous pencherons sur ses dernières réalisations.
To s’est fait connaître en France pour ses films de triades, et depuis “The Mission”, ceux-ci ont montré une grande cohérence, aussi bien thématique que dans le style. Sens du sacrifice, mise en lumière de Hong-Kong, tendance à l’absurde et à la dérision, utilisation des médias, multitude de personnages, tours de force techniques donnant lieu à des scènes d’une incroyable virtuosité, sont autant d’éléments caractéristiques de ses films. Des caractéristiques tellement présentes qu’au fil du temps, et notamment à la sortie d’ “Exilé”, certains ont trouvé que le cinéaste commençait à tourner en rond, quand bien même les prouesses visuelles étaient toujours aussi impressionnantes.
Or, avec le recul, “Exilé” pourrait bien s’avérer être un film charnière dans la carrière de Johnnie To, celui par lequel il clôt son cycle de films de gangsters, ou tout du moins, marque une pause dans celui-ci. Il n’est en effet pas inexact de dire que le film est un condensé du style et des thèmes chers au réalisateur, et pourrait ainsi être vu comme une sorte d’inventaire. En ce sens, il n’est pas anodin d’y retrouver tous ses acteurs fétiches, ni que le film soit une suite officieuse de “The Mission”, son film emblématique. Si l’on en regarde de plus près le contenu, en mettant en parallèle la situation du cinéaste avec celle de ses protagonistes, d’autres indices nous annoncent qu’une page va se tourner. En effet, les héros d’ “Exilé” se retrouvent pour une dernière mission, et lorsque les choses tournent mal, ils savent immédiatement qu’ils sont en sursis et que la fin est proche. De même, “Exilé” serait-il la dernière “mission” de To ? Les références à Leone, Peckinpah, et au western en général y sont nombreuses. Là aussi, le choix de faire un western déguisé, un genre dont l’âge d’or est derrière lui et qui est aujourd’hui moribond, est-il une coïncidence, ou faut-il y voir un symbole ? D’autres éléments peuvent nous mettre la puce à l’oreille : en plaçant ses personnages dans des situations on ne peut plus triviales, en tournant même parfois en dérision la figure emblématique du gangster, To semble brocarder gentiment le genre “polar HK”, et surtout son propre cinéma. Comme s’il était conscient d’être arrivé à la fin de sa démarche, et risquait de sombrer dans la caricature en persistant dans ce genre, il prend du recul par rapport à son oeuvre. C’est ici que la filiation avec “The Mission” prend toute son importance : le film est un polar HK pur jus, et le fait qu’ “Exilé” y fasse constamment écho donne plus d’impact à la distanciation opérée. C’est une suite, mais sans en être une. To poursuit son exploration de l’univers des gangsters, tout en y mettant un terme, au moins provisoire.
Avec “The Sparrow”, le changement est encore plus conséquent. L’histoire est celle d’un groupe de quatre pickpockets, qui vont tous se laisser séduire par la même femme, laquelle va leur demander de dérober quelque chose de vitale pour elle.
La magnifique scène d’ouverture ne laisse aucun doute, ce To va surprendre son public occidental : on y voit Simon Yam, dansant et sifflotant, dans une atmosphère très 50’s. Et en effet, cette fois, les références du maître ne sont ni Melville, ni Leone, mais… “Les parapluies de Cherbourg” ! “The sparrow”, incroyable condensé de légèreté et de bonne humeur, est une comédie intelligente, élégante et poétique, qui lorgne du côté de la comédie musicale et même du ballet, avec des scènes très chorégraphiées et une musique omniprésente (par le français Xavier Jamaux, déjà à ce poste sur “Mad Detective”) qui participe à la narration. L’atmosphère, qui évoque parfois les films hollywoodiens des années 40-50 et leurs femmes fatales, est empreinte de nostalgie, et c’est sous ce nouvel angle qu’une fois encore, To nous fait (re)découvrir Hong-Kong.
Par rapport à la filmographie récente de To, le changement majeur dans “The sparrow” est le ton du film. Contrairement à “Mad Detective”, où l’évolution paraît plus réfléchie et dans la continuité de ce qui précédait, ce film semble plus être un moment de détente, un plaisir que s’accorde le réalisateur. Mais qu’on en s’y trompe pas, il s’agit bien d’un film de Johnnie To (et encore un film de groupe !], et en génie de la forme, il nous prouve ici que sa créativité demeure intacte en dehors du cadre du polar. Pour preuve : le ballet de parapluies qui clôt le film, magnifique visuellement et impressionnante techniquement.
Reste à présent à savoir quelle direction va prendre le réalisateur, et s’il choisira de continuer à nous surprendre, ou revenir vers un cinéma plus habituel pour lui. Les dernières rumeurs sur ses projets font état d’un remake du “Samouraï” de Melville, et d’un développement de l’univers de PTU à travers 5 films (4 pour la vidéo, 1 pour le cinéma). Un retour au To que l’on connaît en France donc. Mais après avoir brillamment prouvé qu’il n’était enfermé ni dans un style, ni dans un genre, c’est peu dire que l’on a hâte de découvrir le traitement que le réalisateur réservera à ses nouveaux films.
(Benjamin Leroy)
Mad Detective est sorti le 5 mars 2008 et The Sparrow sortira le 4 juin 2008.
Pays : Hong-Kong