Pendant trois ans, au début des années 90, dans la ville de Nanyuan, province de Jinan, Jiaqi et Gong se lient d’une amitié exclusive. Pourtant, au départ, rien ne les destinait à se rencontrer. En effet, en classe, Jiaqi est placée par hasard auprès de son camarade Gong. De sexes opposés, ils n’ont, en principe, pas les mêmes jeux. Surtout, chacun d’eux se trouve à l’opposé l’une de l’autre sur l’échelle sociale. En effet le grand-père de Jiaqi, Li Jisheng, est un chirurgien réputé de la ville qui opère jusqu’à Pékin. Tandis que la famille Cheng, celle du garçon, dépend d’une obscure allocation de l’hôpital où le grand-père survit à l’état de légume suite à une séance d’autocritique par trop virulente lors de la révolution culturelle.
Après 25 ans de séparation, Jiaqi retrouve Gong toujours dans la même ville, dans le même appartement et presque identique à lui-même.
Tout le livre se déroule dans le Pavillon blanc où agonise le grand-père de la jeune femme. Dans un récit alternant le point de vue des deux protagonistes, Zhang Yeran nous narre dans une prose d’une maitrise peu commune (on pense à Philipp Roth ou à Carol Joyce Oates), les espoirs, les haines ou les errances des deux héros. Au travers de la petite histoire familiale de chacun, mais aussi de la grande Histoire qui a tant bouleversé la société chinoise. Elle tisse une trame qui, petit à petit, nous révèle les arcanes des personnalités des nombreux membres des deux familles.
C’est sur l’analyse psychologique, en effet, que l’autrice nous tient en haleine tout au long de son récit. À l’image de ce grand-père médecin totalement dépourvu d’humanité pour sa propre femme blessée. Au moment où Jiaqi surprend son regard : «Un trait secret de son caractère apparut tout à coup sur son visage. C’était une expression de répulsion, une absence totale d’empathie et de tendresse, le désir de se débarrasser de tout ça au plus vite, qui s’effaça aussitôt ».
On l’aura compris, il y a urgence à lire ou à relire cette autrice chinoise dont c’est le premier livre traduit en français. Le second paraîtra très bientôt. Il s’agit de L’hôtel du cygne et nous en reparlerons.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le Clou, Zhang Yueran, roman traduit du chinois par Dominique Magny-Roux, 640 pages, 10.50 €, collection de poche Z/a, éd. Zulma. En librairie le 3 juin 2021.