Évidemment alimenté par son enfance, le recueil de nouvelles : L’âme de Kotarô contemplait la mer de Medoruma Shun, nous permet de côtoyer différents habitants d’Okinawa (1) des années 60. Époque où l’archipel des Ryukyu était encore sous occupation américaine.
Pour quatre des récits, le réalisme narratif nous permet de suivre de jeunes enfants aux prises avec le monde des adultes. Ils vivent cette période avec plus ou moins de bonheur, lire notamment : Coq de combat.
Toutefois, l’auteur nous conte surtout les traditions et les mythes de son île natale. Si bien que dans le premier récit, L’âme relogée, l’âme de Kôtarô est remplacée dans sa bouche par un gros aaman (bernard-l’hermite) peu commode. Il s’ensuit de nombreuses péripéties, parfois burlesques pour expulser la bestiole. Condition impérative pour que Kôtarô reste en vie prédit Uta, sa grand-mère adoptive. En effet, sur la plage, un double de l’homme regarde la mer sans bouger, d’où le titre du recueil. Malgré l’amour et les prières de la vieille femme, celle-ci comprend ce qui arrive à son fils : Kôtarô veut-il encore vivre ? Dans un semblable effet de flottement entre la vie et la mort, la nouvelle intitulée : Avec les ombres, nous partageons le quotidien d’une jeune femme de basse extraction. Elle se contente d’une existence simple et surtout esseulée. C’est l’occasion pour l’auteur d’introduire un personnage assez énigmatique, mais bien réel et proche de la protagoniste. Le mystère qui entoure la fuite de ce compagnon fait basculer le récit dans une atmosphère oppressante. Il faut attendre la fin de l’histoire pour en comprendre toute la valeur.
L’omniprésence des Américains est abordée dans plusieurs nouvelles, bien sûr. Mais, c’est dans, Rouges palmiers, que l’auteur nous les donne à voir de près grâce à des combats de boxe clandestins. Il atteste, ainsi, d’une certaine admiration face aux différences physiques et mentales entre les soldats d’occupation et les autochtones soumis. Ceux-ci, toutefois, cherchent à garder leur spécificité fasse aux colonisateurs passés ou présents.
D’ailleurs, les habitants de ces îles méridionales revendiquent une certaine distance avec le Japon. Ne l’appellent-ils pas le Yamato, ancien nom de l’archipel nippon ? Il faut savoir qu’elles furent un royaume indépendant jusqu’à l’ère Meiji (1868). L’auteur nous montre aussi toute la méfiance des troupes japonaises envers les autochtones, dont nombre d’entre eux disparurent sans laisser de trace à la suite d’une arrestation arbitraire pendant la guerre.
La mer revêt une grande importance dans la première et la dernière nouvelle, La mer intérieure. Elle prend ou donne selon l’humeur des Dieux. Elle est, également, le lieu où résident les morts. C’est frappant dans ce dernier texte à la langueur revendiquée. Plusieurs histoires se dédoublent. Ce qui permet à l’auteur de parler du passé de l’île d’avant la guerre du Pacifique. Une harmonie certaine y régissait les rapports entre les habitants. Il raconte aussi toute la valeur symbiotique des insulaires avec leur milieu. Ce qui à disparu transparaît au travers de plusieurs textes, et plus particulièrement, L’awamori du père Brésil. Les nouvelles oscillent entre un réalisme délicat et un fantastique des plus intenses. L’interaction des deux genres rend formidablement la porosité du monde des morts d’avec celui des vivants. La diversité narrative nous entraîne au cœur d’une société qui se délite. L’occupation américaine impose la modernité dans un univers en reconstruction. À cause de la guerre, une grande partie des traditions sont en train de disparaître, nous rappelle l’auteur avec une indéniable nostalgie.
Notons, en outre, que les éditions Zulma ressortent de nombreux récits coréens en poche dont le classique Chant de la fidèle Chunhyang et les plus contemporains : Le Vieux Jardin et Les Boîtes de ma Femme.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique :https://asiexpo.fr/notes-dokinawa-doe-kenzaburo-sort-aux-editions-picquier/
L’âme de Kotaro contemplait la mer de Medoruma Shun, 288 pages, 9,95€, éd. Zulma. En librairie depuis le 8 mai 2025.

