Tokyo, février 1985, la jeune Kiwako s’introduit dans un appartement et en ressort avec un bébé. C’est un kidnapping qui va durer plusieurs années. L’enfant est une petite fille dont le père n’est autre que l’ex-amant de la ravisseuse… Il l’avait forcée à avorter quelques mois plus tôt…
Le roman se déroule sur deux décennies environ. La première partie est ainsi consacrée aux années de cavale de Kiwako et de la petite Erina que sa ravisseuse choisit de nommer Kaoru. Malgré la peur et les fuites successives dues à la présence policière, une harmonie naturelle naît entre elles.
La seconde partie éclate totalement le récit et offre des regards croisés d’abord sur le procès de Kiwako qui est condamnée à huit ans de prison. Puis sur la vie d’Erina qui a grandi et qui entretient une relation adultère, comme Kiwako, vingt ans auparavant. Et enfin le regard de Chigusa, l’amie d’Erina qui veut écrire un livre sur leur vie commune dans une secte où Kiwako s’était réfugiée après l’enlèvement et où les deux fillettes avaient pris l’habitude de jouer ensemble.
C’est un livre très dense tant au niveau de l’histoire que des personnages, et tous, féminins essentiellement, sont caractérisés avec une grande finesse. Mitsuyo Kakuta parvient à dresser des portraits très quotidiens de la société féminine japonaise et en fait émerger l’universalité. Au contraire, les deux seuls hommes qui ont de l’importance dans le récit sont des mâles typiques japonais, d’une génération à l’autre, ne voulant pas s’engager, menteurs et manipulateurs !
C’est aussi un très beau roman sur la transmission et sur l’espoir qui peuvent prendre des chemins totalement inconscients et inattendus. En effet Erina, en acceptant de garder l’enfant de son amant tout en quittant ce dernier, va pouvoir lui faire accéder à la beauté qu’elle n’a pu vivre en raison des diverses fuites que Kiwako lui a fait subir. Mais elle est aussi le double parfait de sa kidnappeuse puisqu’elle va assumer son passé, tisser des relations de confiance et construire son futur tandis que Kiwako reste sur la rive sans jamais pouvoir édifier quoi que ce soit… Erina, en cela, est la fameuse Cigale du huitième jour du titre. Mais Kiwako est en passe, à la fin du roman, magnifique, de pouvoir le devenir aussi…
Notons que paraît simultanément le nouveau roman de Mitsuyo Kakuta Lune de papier. Nous en reparlerons.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
La Cigale du huitième jour, Mitsuyo Kakuta, roman traduit du japonais par Isabelle Sakaï, 352p., éd. Babel. En librairie le 7 avril.