Guangzhou sans ordi

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Patricia, jeune française travaille dans un grand hôtel à Guangzhou (ex Canton). Perdue en Chine ? Pas tout à fait, elle nous en dit plus sur le trafic de mooncakes, sur le baijo – qui lui évite de sombrer dans l’alcoolisme -, les mobylettes… et les conditions de travail surhumaines pour une Française.

Comme me l’a fait remarquer, relativement vigoureusement, mon petit papa, ça fait un bon bout de temps que je n’ai pas écrit un mail digne de ce nom. Honte à moi. Cela dit, j’ai des excuses : d’abord, la perte de mon ordinateur, disparu quelque part dans Guangzhou, corps et âme. Sniff. Tous mes fichiers, photos, …, bye bye. Sans parler de mon appareil photo, mon disque dur externe. Joie, bonne humeur, tout ça. Ah, et dans le package, il y avait aussi mes deux carnets d’adresse : je n’ai donc plus une seule adresse ou numéro de téléphone : je serai, au passage, reconnaissante à ceux qui m’enverront leurs numéros et adresses !

Donc, privée d’ordinateur pendant un bon bout de temps, la vie a été relativement difficile. L’avantage, toutefois, c’est que cela m’a amenée à passer plus de temps dans notre bureau : celui du rooms department. J’y partage l’usage d’un ordinateur avec trois autres personnes. De ce fait, j’ai eu beaucoup de temps morts, d’une part, et d’autre part, j’ai pris l’habitude d’y traîner relativement tard : ce qui m’a permis de prendre part au thé du matin‚ sans parler du thé de l’après-midi et du thé du soir avec mes collègues. Nous passons donc au bas mot trois heures par jour à boire du thé brûlant dans des tasses de la taille de deux dés à coudre, et c’est extrêmement agréable. Ca occupe d’abord, et ça m’a permis de mieux connaître mes collègues. J’allais presque dire : de les apprivoiser. De fait, je me demandais si j’avais sans le vouloir marché sur les pieds de l’un de mes collègues, notamment, qui ne m’adressait la parole que pour dire bonjour et bonsoir, et j’ai découvert depuis qu’il est extrêmement sympathique : simplement, il n’osait pas me parler, parce que son anglais laisse à désirer et je suppose qu’il avait peur que je me moque de lui, ou quelque chose dans ce style. Depuis qu’il m’a entendu essayer de balbutier en chinois, j’ai l’impression qu’une bonne partie de ses complexes a bizarrement disparu.

Le côte négatif, par contre, c’est que depuis, ils n’arrêtent pas de me nourrir. Impressionnant. Ils passent leur temps à grignoter diverses spécialités de diverses régions, qui semblent bizarrement toutes converger vers notre bureau, et j’ai bien sûr droit à tout. Ce qui, sans même parler du poids, est parfois un véritable challenge en terme d’aspect. Faut s’accrocher, fermer les yeux et éviter de demander ce que l’on est en train de goûter.

La semaine précédant ma semaine de vacances a été particulièrement terrible, pour cause d’attaque de mooncakes. Ce sont des gâteaux super sucrés. Il en existe de différents types, mais il paraît que le mooncake du Guangdong est particulièrement réputé. Le seul truc, c’est qu’il faut arriver à discrètement se débarrasser du jaune d’oeuf à l’intérieur, que tout le monde tient absolument à te faire avaler parce que c’est la partie la meilleure – hum. C’est assez amusant, parce qu’en réalité, une majorité de chinois n’aiment pas les mooncakes, semble-t-il – ils trouvent cela trop sucré – mais c’est un cadeau traditionnel du “mid autumn festival day”, et il est donc nécessaire d’en acheter des boîtes entières et de les offrir à sa famille, voisins, amis, … Qui s’empresseront de les refiler à quelqu’un d’autre, en général. C’est un véritable trafic de mooncakes dans la ville, et tous les supermarchés ont leurs étalages, dignes des étalages chocolatiers à Noël et l’on mange des mooncakes pendant deux semaines, mais le 7 au matin, ils disparaissent, et tout le monde cesse d’en acheter – contrairement au chocolat, au passage.

Donc, panne d’ordi, à laquelle s’est ajoutée une période relativement chargée : pendant les trois semaines précédant les vacances, nous avons travaillé de 8h30 à 12h30, puis de 14h à 18h, et ensuite 19h à 22h, et, en général, après 22h, time pour “snack de nuit”. Ai-je oublié de préciser quelque part que les Chinois mangent tout le temps ? Donc, après 22h, direction un petit barbecue sur rue, à cinq minutes de notre dortoir, pour barbecue et bière. Burp. Je suis en train de développer une relative allergie à la bière, j’avoue. Ras le bol. Mais je crois avoir trouvé la parade, grâce à Danny, un de mes collègues : le jeune homme a rompu avec sa petite amie il y a deux semaines – enfin, pour être plus précise, elle a rompu avec lui – et il a mal pris la chose : résultat, il s’est consciencieusement saoulé tous les jours de la semaine, mais, comme il est du nord et qu’il boit à la russe, il se saoule au baijo, leur infâme vin blanc, qui est en fait une sorte de liqueur à 45% minimum. Or, le baijo est la solution ! J’aurais dû m’en rendre compte plus tôt. C’est tellement fort que personne ne se vexe si l’on en boit une toute petite gorgée alors qu’ils finissent leur verre, il est impensable de boire de la bière en même temps – ou même après – à moins de vouloir visiter très rapidement les toilettes publiques.
Ce qui en fin de compte, vu les quantités que j’ingère – personnellement, je ne me finis pas la bouteille, contrairement au fameux déprimé dépressif, j’ai déjà assez de mal avec le verre – permet de garder la tête claire, et d’éviter les lendemains douloureux bref, le baijo est la solution, moi je vous le dis. Il y a aussi ne pas boire, comme certaines bonnes âmes pourraient le suggérer mais ce n’est pas possible en toutes circonstances : notamment pour les anniversaires – et il y a en moyenne un anniversaire par semaine -.

Bref, entre mon absence d’ordi d’une part, et les journées de travail, et le déprimé dépressif qu’il a fallu accompagner chaque soir – histoire d’éviter qu’il ne se saoule en solitaire – manque de temps, manque de temps pour écrire.

Mais, en ce dimanche 8 octobre, je reprends la plume – façon de parler – afin de donner des nouvelles de Chine. Et franchement, ça dénote un courage peu commun – et ce n’est pas pour m’envoyer des fleurs mais quand même parce que en ce dimanche 8 octobre, comme je le disais, je me sens comme un lundi. En pire. Parce que je travaille, moi, madame. Eh ben oui : pour avoir une semaine complète de vacances, les jours de travail sont redistribués : on travaille le samedi 30, et le dimanche 8, en l’occurrence, sniff. Bon, je sais qu’en étant dans l’hôtellerie, dès que l’hôtel ouvrira, je pourrai de toute façon dire adieu à mes week-ends, mais en attendant, je suis fatiguée, de mauvaise humeur, et j’aimerais bien qu’on me rende mon dimanche. Zut alors. En plus, mes collègues sont d’une désespérante bonne humeur. Je n’ai jamais vu des gens aussi heureux de reprendre le travail. Avant les vacances, la moitié de l’équipe était malade et l’autre de mauvaise humeur. Moi, je cumulais (j’aime faire les choses en grand). Mais visiblement, les vacances les ont tous requinqués, ce que je trouve anormal. Chacun sait que les vacances sont faites pour en revenir plus crevés qu’au départ ! Faudrait respecter les traditions !

Je ne sais pas trop, cela dit, où je m’étais arrêtée dans mes nouvelles de Chine. Donc on va reprendre par un tableau général : la Chine est toujours aussi grande et peuplée – c’est d’ailleurs un truc qui m’inquiète, quand j’y songe. Il y a vraiment VRAIMENT trop de monde dans ce pays. Surtout dans les magasins, et spécialement la semaine de “national holidays”. Le passe-temps national, comme j’ai déjà pu le mentionner par ailleurs, est le shopping. Donc, pendant leur semaine de vacances, du 1er, fête nationale au 6, jour du festival de la mi-automne, les chinois font du shopping. Souvent ils voyagent, retournent dans leur famille et y font du shopping. En famille. Je suppose que cette soif de shopping et d’achat doit être due à un contrecoup face au régime communiste et aux années de vaches maigres. Elle donne une certaine impression de superficialité, dans la mesure où la première question que l’on me pose de retour de week-end ou, dans le cas présent, de vacances est généralement : “tu es allée faire du shopping ? ”… et pour être honnête, la réponse est souvent positive. Autant pour moi. Passion pour le shopping qui s’accompagne par une passion tout aussi grande pour les cartes de crédit de tout type. La Chine va connaître toute une génération de gens endettés, je crains.

Bref, j’ai passé mes vacances entre Guangzhou – chez une amie française, chez une autre amie japonaise, et Panyu, avec une collègue chinoise, dont l’occupation principale a été de me faire manger non stop. Vacances agréables, bowling, baby-foot, grasses matinées et soirées dans les bars de Guangzhou. Les hommes sont faits d’habitudes, et les femmes aussi, et donc, j’ai maintenant mes petites habitudes, qui consistent en général à passer le début de soirée dans un jazzbar appelé Backstreet, où la musique est vraiment chouette mais les cocktails chers, avant d’enchaîner par le Loft, une sorte de bar situé dans un immeuble qui fait office de dortoir pour artistes de passage. L’immeuble entier est une galerie d’art, la décoration change pratiquement toutes les semaines, la carte est relativement limitée (bière et vodka !), mais l’ambiance du tonnerre. On peut y jouer au baby-foot et au billard, écouter toutes sortes de musique suivant l’ambiance de la soirée, et souvent finir par des “jam sessions” de percussions sans parler des canapés, qui sont extrêmement confortables. Enfin, must du must, le volume sonore permet de s’entendre parler – enfin, d’entendre ses voisins – comment ça lapsus révélateur ? et ça, après visite de plusieurs bars et boîtes de nuit chinoises, ou même de restaurants, c’est à la limite du miracle. Enfin le bar ferme quand le dernier client s’en va, mais ne met jamais personne dehors. Bref, c’est vraiment l’endroit parfait pour les vendredis et samedis soirs, et là, en l’occurrence, pour la semaine entière !

Mais bon, j’ai aussi fait quelques sorties culturelles – quand même – notamment, je suis allée visiter un temple plus ou moins bouddhiste – mais pas tout à fait – à Panyu, avec vue sur la mer. Les escaliers étaient raides, mais la vue magnifique. Et puis, y étant allée avec une chinoise, j’ai suivi le mouvement et déposé de l’encens sur tous les autels possibles, sonné la cloche qui m’assure trois ans de bonheur, et fait prédire mon avenir en agitant un petit tonneau rempli de bâtons gravés avec des nombres. On agite le tonneau jusqu’à ce qu’un des bâtons tombe au sol, et ensuite, on le donne à l’une des gardienne, qui l’échange contre un papier prédisant notre avenir, une réponse à la question posée lors de la prière. Le seul problème, c’est que le petit papier en question est en chinois. Ancien, qui plus est, et personne n’a été capable de me le traduire, à ce jour. Même Minami, un petit japonais qui du haut de ses 11 ans en Chine, et de sa maîtrise de littérature chinoise, était, je l’espérais, mon dernier recours, a déclaré forfait. Donc en fin de compte, tout ce que je sais c’est “it’s good”. Ce qui manque un peu de précision. Enfin, mon petit papier est rose, numéro 13, au milieu d’une série de papiers blancs (donc, mauvais présages), donc, paraît-il, je suis chanceuse. Voilà qui me rassure. Qu’est ce que ça serait si je ne l’étais pas !

Bref, la visite fut vraiment très agréable, et le temple, perché en hauteur, magnifique. Sans parler du voyage en mobylette pour aller de l’arrêt de bus au temple : les mobylettes font office de taxi, et l’on y monte à deux (plus le chauffeur). A Guangzhou même, je n’ai jamais osé en prendre une : la circulation est telle que je préfère éviter. Je veux bien être chanceuse, et je sais que s’ils sont encore vivants, c’est qu’à priori il y a peu de chance de finir en omelette sur le pavé, mais je crains que ce ne soit mon coeur qui lâche. Mais dans les endroits un peu plus “reculés” comme notre dortoir, ou en l’occurrence, les environs de ce temple, relativement désertiques, la mobylette est de rigueur, et c’est extrêmement chouette ! J’ai l’impression de revenir à mon adolescence et vu la chaleur ambiante, c’est en fin de compte le mode de transport réellement le plus agréable. Dans le reste, on se gèle s’il y a la clim, et on meurt de chaud si il n’y en a pas. Donc bon. La mobylette, c’est 100% aéré.

Je finis mon mail sur ces considérations autoroutières, et d’aller me coucher d’ici peu, parce que ce n’est pas tout ça, mais demain je bosse, et j’ai du sommeil de retard. Bises à tous et à toutes !

Patricia Oziouls
Guangzhou, octobre 2006
photographies : Li Li & Frédéric Perrot

Pays : Afghanistan

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