La 1ère scène, contemporaine, est assez mystérieuse avec ses longs plans sur un fleuve puis ses abords, la forêt. Elle donne aussi l’issue de l’histoire qui va être racontée. Nous n’en dirons pas plus…
La suite du film nous plonge au début du XIXè siècle dans l’Oregon encore sauvage. L’humble Cookie Figowitz fait office de cuisinier dans une bande de trappeurs. Il vient en aide une nuit à King-Lu un immigrant chinois venu faire fortune. Ils se lient alors d’amitié et, ensemble, cherchent une vie meilleure. Ils montent un petit commerce de beignets. Et ils ne tardent pas à remporter un énorme succès. En effet les pionniers de l’Ouest ont le mal du pays ! Mais la recette de Cookie doit sa notoriété à un ingrédient secret : le lait. Or, ils l’extorquent chaque nuit à la 1ère vache importée aux États Unis par un notable qui se le réservait…
La cinéaste s’était déjà frottée au genre du western avec l’atypique La dernière piste en 2010. Déjà 3 chariots, 3 familles partaient pour l’Oregon et finissaient déshydratés. Bien loin du mythe des pionniers conquérants ! Elle confirme, avec First Cow, sa prédilection pour un cinéma non conforme au mythe américain, pastoral et minimaliste. Mais le roman de Jon Raymond : Half-Life embrassait 4 décennies et un voyage en Chine. Kelly Reichardt en fait une version modeste avec la découverte de la 1ère vache inventée pour le scénario. Le voyage en bateau permet le mélange de toutes les espèces et classes humaines, sociales. Elles se retrouvent là avant même la naissance de l’Oregon et de sa 1ère monnaie : le castor.
King-Lu dit même que « toute l’humanité est là ». Et Kelly Reichardt fait ressortir les dynamiques de pouvoir comme elle aime à le faire dans ses films. Le notable s’enorgueillit d’en mettre plein la vue au capitaine de navire qui vient prendre le thé chez lui, avec le fameux clafoutis de Cookie. Ce dernier et King-lu coopèrent pour obtenir ce qui leur manque, les Amérindiens commercent tant bien que mal avec les colons…
La cinéaste filme au plus près de ses personnages, dans leur dénuement la plupart du temps, à ras de terre pour Cookie le pragmatique. À la japonaise, comme Ozu filmait à hauteur de tatami. Mais elle filme aussi la verticalité des bois, de King Lu, perché dans son arbre pour faire le guet. Elle adopte un format intime et prend le temps d’aller dans la chair de son sujet. En effet, elle filme au plus près la nature : forêt, nuit, fleuve…
À travers l’interview Kelly Reichardt, cinéaste d’une autre Amérique, cette figure majeure du cinéma indépendant américain de 58 ans nous permet d’y entrer de plain-pied. Et l’on comprend que le milieu est très masculin ; difficile donc de l’intégrer. Mais elle a travaillé avec des réalisateurs aussi importants que Todd Haynes, Hal Hartley dans les années 90. Elle a donc été à très bonne école ! Et depuis une quinzaine d’années, elle donne à voir une Amérique aux antipodes de la bien-pensance néo-libérale et de ses mythes.
Un DVD et Blu-Ray qui donne envie de voir les autres films de cette cinéaste à suivre !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
First Cow, scénario: Kelly Reichardt , Jon Raymond, avec John Magaro, Orson Lee… USA, 2021, 2h02 ; DVD et Blu Ray distr. Condor Films.