On le compare à Alain Delon (pour son charisme et sa sensibilité) mâtiné de Gérard Depardieu (pour son physique étonnant et l’intensité de ses performances)… L’acteur hongkongais Lau Ching -Wan, bien connu des amateurs du festival Fantasia (il présente cette année Running Out of Time de Johnnie To et Victim de Ringo Lam), et sa femme, l’actrice Amy Kwok, sont ici pour quelques jours. Portrait d’un couple heureux et adulé.
De la télé au cinéma
Cela n’a pas été facile pour Lau Ching-Wan de devenir la star qu’il est aujourd’hui. Lorsqu’il a commencé à prendre des cours de comédie, vers dix-huit ans, ses camarades se moquaient de sa peau trop foncée, de son physique qui n’était pas celui d’un jeune premier, de son incapacité à chanter, alors que de nombreux acteurs et actrices de Hong Kong font également carrière dans la musique.
D’abord acteur de télévision, et abonné aux rôles de criminels, il a progressivement gagné l’estime des réalisateurs les plus en vue, tels que Johnnie To et Ringo Lam, et fait sa place dans le panthéon du cinéma hongkongais.
Lau Ching-Wan : À Hong Kong, si vous êtes un acteur télé, les réalisateurs de cinéma ne viendront pas vous chercher, parce qu’ils pensent que si le public peut vous voir à la télé, gratuitement, ils ne payeront pas pour vous voir au cinéma… C’est pour ça que, lorsque j’ai commencé à faire du cinéma, j’ai cessé de faire de la télé…
J’ai passé plus de dix ans à la télé, et la dernière année, je l’ai passée à me dire que j’avais envie de quelques chose de différent, de nouveau… C’est comme ça que j’ai essayé de faire du cinéma. J’ai eu beaucoup de chance, car mon premier film, “C’est la vie, mon chéri” a été un succès à Hong Kong. Ça m’a facilité les choses. Parce que le premier film est très important à Hong Kong. S’il ne fait pas d’argent, là vous avez un problème!
Un homme qui en a vu d’autres
Lau Ching-Wan, malgré sa capacité à jouer sur des registres très différents, incarne souvent des hommes qui ont un passé, qui ont souffert, et parfois, sont devenus plus sages lorsqu’ils n’ont pas, comme dans “Victim”, été rendus fous par les épreuves subies. Pourquoi cette constante ?
Lau Ching-Wan : Parfois, je ne sais vraiment pas… Peut-être les réalisateurs pensent-ils que je ressemble à ce genre de personne. J’ai l’apparence de quelqu’un de profond, qui a quelque chose au fond de lui, quelque chose de triste… Mais ce n’est vraiment pas moi ! (rires) Je suis plutôt costaud, je suis un mari, j’aime regarder la télé… C’est tout. Je ne suis pas si profond !
L’histoire d’un amour
Lau Ching-Wan : En fait, je suis quelqu’un qui a de la chance. J’ai une femme adorable, qui me comprend vraiment. Vous savez, je crois que la plupart des acteurs sont des gens qui ont des problèmes. En ce qui me concerne, j’ai d’incroyables sautes d’humeur, et ma femme est comme un médicament. Quand j’ai des problèmes, je bois une gorgée de médicament et… ah… ça va mieux maintenant (rires)! Elle s’occupe de tout.
Je trouve que les femmes sont incroyables, partout dans le monde. Elles ont le boulot le plus difficile. Elles font tant de choses : une femme prend soin de son mari, de sa famille, des enfants, des factures… ma femme va même au centre commercial pour m’acheter mes vêtements, et même mes sous-vêtements ! Et elle est également actrice. C’est elle qui a le rôle le plus difficile. Je ne suis pas un grand acteur. Elle oui.
Amy Kwok : Merci (rires)! C’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire…
L’avenir du cinéma hongkongais
Au sortir de la crise économique qui a secoué l’Asie et de la crise de confiance qui a suivi la rétrocession de Hong Kong à la Chine, on disait le cinéma de Hong Kong en perte de vitesse. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les cinéastes et acteurs hongkongais rêvent-ils encore de s’expatrier aux États-Unis ?
Hong Kong commence à sortir de la crise qui a secoué l’Asie. Les gens se remettent à investir à la bourse, ce qui est un signe de la reprise, et le cinéma se porte mieux…
Amy Kwok : Il y a plus d’investissement dans les films, maintenant…
Lau Ching-Wan : Oui, parce que on a plus de chaînes de télé, maintenant. Et ces chaînes veulent des films… Le public va plus vers les films de Hong Kong que vers les films américains, parce que les films s’améliorent. Les histoires sont meilleures, les productions aussi. La plupart des gens qui font des films réalisent que si vous voulez que les gens retournent dans les cinémas, il faut leur proposer de bons films.
Les films changent, à Hong Kong, parce qu’ils ne passent plus seulement dans les cinémas. Il y a encore deux ans, les films sortaient uniquement au cinéma. Maintenant, après leur carrière sur les grands écrans, ils vont à la télé. Ça injecte de l’argent dans l’économie. Mais les chaînes de télé ne sont pas prêtes à investir dans des films à gros budget. Ça reste des petits budgets.
C’est presque impossible de faire des films à gros budget comme à Hollywood. On n’a pas tant d’argent que ça (Amy Kwok renchérit). Le marché est trop petit.
Amy Kwok : On essaye de faire des films différents. Des films qui ont ce style distinctif qu’on connaît et qui est propre au cinéma de Hong Kong. On doit faire des films avec des histoires locales, je crois que c’est la seule façon dont on peut survivre.
Lau Ching-Wan : Le marché n’est pas très grand. En Italie par exemple, ou ici, il y a des gens qui aiment nos films. Mais cela reste un petit pourcentage de la population.
Amy Kwok : On n’est pas certain de la façon dont nos films seraient reçus par le grand public en Amérique du Nord. Nos films ne sont pas conçus pour le marché international.
Lau Ching-Wan : Je pense que ce qui compte, c’est le concept. Le budget n’est pas si important. On peut faire de très bons films sans argent.
L’attrait de l’étranger
Certains acteurs et réalisateurs ont choisi de quitter Hong Kong au moment de la rétrocession du territoire à la Chine, en 1997. Mise à part la crainte de l’ingérence du pouvoir central chinois dans les affaires de Hong Kong, qu’est-ce qui peut amener quelqu’un à se décider de partir ? et quelles sont les difficultés rencontrées ?
Lau Ching-Wan : Si vous êtes un réalisateur, à Hong Kong, et que vous voulez faire un film à gros budget, il vaut mieux que vous alliez à Hollywood. Ils ont de l’argent, des effets spéciaux, ils peuvent faire des choses impossibles, incroyables. Nous, à Hong Kong, on ne peut pas faire ça. Pour les acteurs, ce sont d’autres limites qui entrent en jeu : si vous avez plus de 40 ans, vous êtes considéré comme vieux, on ne vous confie plus que des seconds rôles. Si vous voulez continuer votre carrière, vous devez partir. À Hollywood, il y a Harrison Ford et Sean Connery. À Hong Kong, c’est impossible…
Cela signifie-t-il que Lau Ching-Wan songe à une carrière internationale, peut-être américaine ?
Il y a un problème, ici : je ne comprend pas pourquoi le public américain irait voir un acteur chinois, alors qu’il a toutes les stars qu’il veut chez lui… Vraiment, ça je ne vois pas. Sauf peut-être pour un acteur comme Jet Li, à cause de ses talents uniques en arts martiaux. Si, comme lui, vous êtes une star du cinéma d’action, c’est possible de faire carrière aux États-Unis. Mais pour moi, c’est difficile. C’est la même chose pour les réalisateurs. Si vous êtes un réalisateur de films d’action, comme John Woo, c’est plus facile. Bien sûr, ça reste quand même difficile, mais moins que pour un réalisateur oeuvrant dans un autre genre.
En tant qu’acteur, je cherche toujours des expériences nouvelles. Quand je fais un film, je me fous un peu de ce qui se passe après le tournage : l’argent, les récompenses, ce n’est pas très important. Tout ce qui compte, c’est le plaisir et l’expérience, si importants pour moi.
Le mois dernier, à Vancouver, Lau Ching-Wan terminait «Lunch with Charles», une coproduction canado-hongkongaise du réalisateur canadien Michael Parker.
propos recueillis et traduits de l’anglais par Sylvie Lachize (Radio Canada)
http://radio-canada.ca/culture/evenements/fantasia2000/
Pays : Divers