Entretien avec le réalisateur chinois Huang Jianxin

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Dans votre film, on voit un couple se détruire, pourtant c’est une comédie.
C’est dans mon caractère où la tristesse n’a guère sa place. J’aime jouer, rire, c’est dans ma nature. Dès mon premier film, j’ai toujours glissé des éléments comiques dans mes scénarios. L’humour est la meilleure façon de raconter une histoire absurde. Gâcher la vie de son couple pour trouver une preuve d’amour – ce fameux certificat de mariage – est une situation absurde.

Votre vision de la comédie s’applique aussi aux sujets sensibles ? Dans ce film, vous utilisez l’animation pour raconter l’histoire contemporaine de la Chine.
Si nous regardons le passé avec recul et raison, on a du mal à croire que tout s’est passé ainsi. Cela dépasse l’imagination. Nous ne pouvons qu’en rire finalement. Pour moi, ce sont de vraies comédies, et le dessin animé est très pratique pour le montrer.
Mon but n’est pas de commenter l’histoire, mais de situer dans un contexte mes personnages. Le couple Xie et Gu ne peut pas se séparer de son passé. Ils appartiennent à la génération des années 1950 et 1960 qui a participé à la Révolution Culturelle, envoyée à la campagne, qui est passée de la période de l’économie planifiée à celle de l’économie de marché, qui a été soumise à la politique de l’enfant unique… Les changements brutaux de la Chine de ce demi-siècle, ils y ont survécu. C’est leur jeunesse. Dans le film, je l’ai introduit par le point de vue de leur fille unique, une collégienne de 13 ans. La logique des adultes ne s’appliquant pas à celle des enfants, le dessin animé est un bon médium. Par exemple, dans la scène où la grand-mère lui raconte que sa mère était une femme attirante, Xiao Wen imagine une femme moderne en jupe rouge et en talons hauts. Puis elle corrige sa vision en prenant conscience qu’à l’époque de la Révolution Culturelle tout le monde s’habillait de façon identique. Du coup, son regard évolue vers une mère en costume de Garde Rouge et marchant à grand pas.
L’animation m’autorise à montrer les points de vue des différents personnages. C’est fini l’époque des films traditionnels au point de vue subjectif, car émanant d’une seule personne. La caméra s’attarde sur le point de vue d’un protagoniste, puis s’intéresse à celui d’un autre. L’animation me donne la liberté de me balader entre ces différentes visions.

Ce sont les citadins ordinaires qui vous préoccupent le plus ?
Il y a deux genres de film. Dans le premier on crée l’histoire avant les personnages, dans le deuxième on crée les personnages avant l’histoire. Je trouve que le deuxième genre est beaucoup plus intéressant que le premier. Mes films appartiennent au genre “sketch”. Dans Certificat de mariage, je développe l’histoire d’un couple de la classe moyenne qui a la quarantaine. Les autres histoires sont construites autour de leur travail et de leur vie privée. Xie Yuting est une femme au foyer, travailleuse, bavarde, en pleine crise de la quarantaine. Gu Ming est un psychologue, mais ne peut pas gérer les problèmes de sa propre famille. Xiao Wen est une enfant moderne, reflétant les pensées d’une nouvelle génération. Par exemple, elle dit clairement à sa mère que si ses parents divorcent, elle essayera de conserver de bonnes relations avec leur nouveau compagnon et compagne.
Il y a différents types de personnage dans mon film, c’est pour cette raison que son public vient lui aussi de toutes les couches sociales.

Pourquoi est-ce que la ville et les citadins ordinaires vous attirent ?
Ce sont les sujets que je connais le mieux. A l’exception de mon service militaire entre 16 et 22 ans, j’ai toujours vécu en ville. Le concept de la ville en Chine est différent de celui des occidentaux. La Chine est un grand pays agricole, les villes en Chine portent beaucoup les couleurs de la campagne, surtout dans la ville où j’habite. Xi’an est un miroir de la plupart des villes chinoises. Les pensées des gens ici sont représentatives de celles des citadins chinois. C’est pour cela que j’ai choisi Xi’an comme la ville où se déroule Certificat de mariage, un mélange d’urbain et de rural.
J’aime les films pour les gens ordinaires. Bien sûr, pour les divertir, il y a les films épiques ou sérieux. Mais aussi beaucoup d’autres qui parlent de leur quotidien : boulot, dodo, le stress, les problèmes d’argent… Tous mes films appartiennent à cette deuxième catégorie. Mais comme dans Certificat de mariage, le cumul des petites histoires des gens ordinaires peut nous amener également à réfléchir aux problèmes de notre société.

L’hôpital psychiatrique dans le film n’est pas un simple décor ?
C’est vrai. Pour moi, il n’est pas simplement là pour amener des scènes humoristiques, mais également pour montrer le contraste entre un univers dit “anormal” et le monde des gens normaux. L’un n’est pas moins réel que l’autre. Et les patients ne sont pas plus fous que l’héroïne dont la vie s’est focalisée autour d’un simple certificat de mariage.

La psychologie des personnages est très convaincante pour un film qui, comme vous dites, n’est pas vraiment “réaliste” au sens traditionnel du terme.
La recherche de la psychologie des protagonistes débute dès la conception du scénario. Je les écris le plus souvent sous un pseudonyme. Pour ce film, je sais qu’à mon âge, je ne peux plus prétendre connaître la façon de parler des collégiens d’aujourd’hui. Donc, après avoir écrit les dialogues des collégiens, j’ai demandé à de vrais collégiens de les corriger. L’appréciation de ce film par le jeune public prouve que ces jeunes scénaristes ont bien fait leur travail.
Je recherche la précision de l’état psychologique des personnages également au moment du tournage, avec l’équipe de création, avec les acteurs. Nous essayons de trouver les bons mots, les bonnes nuances. Il m’arrive de consacrer trois jours pour un seul plan.
L’environnement autour des personnages sert aussi à les mettre dans un certain état d’esprit. Pour cela, je prends un soin minutieux aux décors. Par exemple, dans l’hôpital psychiatrique, les rideaux légers qui flottent avec le mouvement du vent, la table longue toute propre au milieu d’une salle vide, … Ces décors ne sont pas vraiment courants dans un véritable hôpital. Même pour les scènes qui se déroulent dans les rues, je contrôle le nombre de passants, la façon dont ils passent dans le champ de la caméra, et tous les autres détails qui peuvent me servir à créer l’ambiance voulue.

Dans ce film, il y a des subtilités qui ne peuvent être perçues que par des Chinois. Ne craignez-vous pas que le public français passe à côté ?
Un film est fait d’abord pour le public de son propre pays. Le cinéma et l’humour français, pensez-vous que le public des autres pays puisse tout comprendre ? Dans le contexte de la mondialisation du cinéma, comment pouvons-nous concurrencer les films hollywoodiens ? Nous Chinois, n’avons pas le même budget. Si les films chinois veulent être en bonne place au box office chinois déjà écrasé par les grosses productions américaines, cela n’est possible qu’avec des films ciblés, faits par les cinéastes chinois, qui parlent de la vie des Chinois, et qui ne peuvent donc être entièrement compris que par les Chinois.

Quels sont vos projets en cours ?
Je suis actuellement producteur exécutif de la partie du film La Momie III qui se passe en Chine.
Mon prochain film s’appelle Les vers du banquet, adaptation du roman de Yan Geling. J’ai déjà trouvé le point d’entrée, et je vais commencer le scénario bientôt. A Pékin, il y a un groupe de personnes qui ont pour habitude de s’inviter aux banquets où ils ne connaissent personne. Ils mangent, prennent des cadeaux, la vie est belle pour eux. Parmi eux, il y a même un gardien de toilettes publiques. Ils ont chacun leur domaine de connaissance, et sont prêts à faire un discours sur un sujet précis, afin de garantir au groupe d’être admis. Je vais ajouter un détail dans l’histoire. Ce sera très rigolo. Ils ont tous dans leur sac un livre, qui est leur ultime recours en cas de suspicions. Le livre est l’édition poche de Cent mille Pourquoi, une encyclopédie pour les enfants de 6ème. En Chine, presque chaque famille a la sienne.

Propos recueillis lors du 3e Festival du cinéma chinois de Paris
(septembre 2007)

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Pays : Chine

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