Un modeste pêcheur nord-coréen habite, avec sa femme et sa fille, sur les bords d’un lac qui marque la frontière entre les deux Corées. Comme chaque matin il part relever ses filets, mais l’hélice de son bateau se prend dans ces derniers. Impossible de redémarrer ! Il ne peut que dériver vers les eaux sud-coréennes. La police des frontières l’interroge avec des méthodes musclées et le voilà accusé d’espionnage.
Il s’est fait connaître en France par le beau Printemps, été, automne, hiver… Printemps. Et depuis, le cinéaste est très prolixe. Il s’attaque, dans son dernier opus, aux relations fort complexes entre les deux Corées à travers le drame d’une famille. Ou comment les deux idéologies – l’une ne valant pas mieux que l’autre – détruisent l’individu. C’est en effet les mêmes méthodes d’interrogatoire, de torture physique et mentale que l’on retrouve d’un côté et de l’autre de la frontière. Si l’endoctrinement est plus frontal au Nord (l’omniprésence des portraits du dictateur et des slogans à sa gloire), il n’en n’est pas moins redoutable et insidieux au sud (le commissaire est prêt à torturer n’importe qui au nom de la défense nationale). Et c’est la force du film que de refuser le manichéisme : le pêcheur s’étonne qu’au pays de la liberté une femme doive vendre son corps pour survivre… Kim Ki-duk traite son drame politique et humain avec l’énergie du thriller… à tout petit budget – En effet il tourne en 2 ou 3 semaines ce qu’une production normale tournerait en 3 mois… – L’acteur Ryu Seung-bum, est pour beaucoup dans cette force : il incarne magnifiquement l’humain qui se dresse et ne lâche rien de son humanité face à la machine idéologique incarnée des deux côtés par différentes hiérarchies affublées d’œillères doctrinales. Le seul espoir est incarné par le jeune et beau garde du corps sud-coréen. Son grand-père venait du nord et il incarne à lui seul la parenté de ces deux pays qui ne sont qu’un seul peuple, pour mieux marquer encore l’absurdité d’une telle compétition. Le malheur vient finalement d’une méconnaissance mutuelle de ce qui se passe dans l’autre pays.
Il faut voir Entre deux rives à l’heure même où (il y a quelques jours) un soldat nord-coréen de 25 ans s’est enfui en Corée du sud…
Camille DOUZELET
Entre deux rives, Kim Ki-duk, Blaq Out, 1er décembre 2017, 20 euros.