On ne peut parler du magnifique Belladonna sans lui accoler les meilleures épithètes de la langue.
Le film débute, un générique sur fond noir, la musique s’éprend de la salle, de nos corps, nous entraîne dans l’œuvre.
J’aurais épuisé tout le langage que je n’aurais pas assez écrit sur ce divin film.
Un fond blanc surgit, comme la peau blanche de Jeanne.
Tant il dépasse mes mots.
En contraste total avec l’image précédente.
Ainsi transcende la pensée.
Un film où la noirceur met en avant la lumière et inversement, une pensée qui nous vient directement du Japon, comme l’évoque l’Eloge de l’ombre.
Il se niche au monde des sensations, nous emporte ailleurs, dans un univers fait d’images, de couleurs et de sons. Ce long-métrage laisse pleinement place à l’imaginaire du spectateur, il inspire celui qui écrit.
Toujours à l’ombre s’oppose la lumière, en jaillit la perfection.
Avec le superbe Belladonna, qui réinvente le cinéma, le critique métamorphose son écriture.
Les mouvements de l’image caressent le dessin fixe, fait d’espaces vierges, de couleurs patinées, le trait est inachevé, encore visible. Le dessin s’éprend du vide. Comme l’avait dit Camus à Yves Klein : « Avec le vide, les pleins pouvoirs ». Ainsi Belladonna, confère « les pleins pouvoirs » à notre imaginaire.
Comment d’avantage parler du génial Belladonna sans le gâcher, il faut le voir, le vivre.
Le mouvement dans l’image se fait rare, mais lorsqu’il intervient, du fait de sa rareté, devient d’une puissance incroyable.
Il faut en faire l’expérience pour comprendre son pouvoir.
Simple scène où dans le reflet du miroir, Jeanne se lave du double viol qu’elle a subi, sexuel par l’abominable seigneur, moral par son amant, du nom de Jean.
Après l’avoir vu on ne peut penser à rien d’autre qu’à lui, une seule envie nous tiraille, en refaire l’expérience.
A notre époque ce long-métrage acquiert un atout supplémentaire, son côté kitsch, la voix de Jeanne, la musique parfois, il se transforme au cours du temps, cependant, aucune ride sur la peau blanche de Belladonna.
Je garderai ce film, comme une expérience intime, un moment cinématographique rare.
Jeanne et Jean, au Japon, en 1973, deux prénoms qui dénotent de l’absorption de la culture occidental. Aux mœurs occidentales, Eiichi Yamamoto y oppose, l’érotisme oriental, comme libérateur. Un graphisme qui parfois se rapproche de l’estampe et d’autres fois, évoque les formes de la peinture renaissante. Ainsi il rend l’art universel. Comme dans cette scène où Jeanne se fait rejeter par les villageois, les visages sont faits d’angles difformes, de grimaces hideuses, rappelant Le portement de croix de Jérôme Bosh. Yamamoto s’inscrit aussi dans l’art de son temps, la séquence psychédélique qui intervient au cours du film tient du Pop art, de l’abstrait, du collage. De cette manière le cinéaste intègre les arts plastiques au cinéma et fait évoluer son médium.
Quand on voit le sublime Belladonna on comprend d’emblée ce que peut nous apporter l’art.
Belladonna est tout fait d’érotisme, sans pornographie, des images psychanalytiques, souvent évolutives, qui tendent vers la plasticité des dessins-animés d’Emil Cohl.
Sa vraie puissance vient du fait que chacun y trouvera une réponse différente.
Tout est compréhensible par le dessin. Le petit diable, moitié pénis, moitié spermatozoïde, qui dit à Jeanne faire partie d’elle, est la révélation du démon de toute femme, soit, la virilité des hommes. Et plus les hommes lui font mal, et plus le démon devient grand.
Le Beau Belladonna est vraiment une belle femme, il est multiple, toujours changeant, l’allure simple, mais profondément complexe.
C’est à cause des hommes que Jeanne devient une sorcière.
Le film dépasse son sujet féministe, la femme est la libératrice des rapports de force entre les Hommes.
Le corps n’est plus politique, il est érotique. Lorsque la cathédrale fond, et retourne à son état primaire, l’encre, c’est pour accuser le dogmatisme masculin. Est critiquée l’utilisation biaisée de l’image de Dieu par le pouvoir, sont dénoncés l’ignominie des dirigeants, mais aussi l’ignorance et la crédulité du peuple. La lutte des classes est montrée comme un jeu d’enfant, ultra simpliste, Jeanne s’en libère, elle quitte l’animalité pour devenir pleinement humaine. Elle révèle la vérité sur le peuple, frustré sexuellement à cause des seigneurs, elle montre ce qui est caché, le sexe masculin stupide, et le sexe féminin avide et dévoreur. Le personnage principal est double, comme la belladone, elle peut être remède ou poison. Jeanne et la sorcière ne font qu’un, malgré tout, deux doubleuses différentes prêtent leur voix à ce même personnage, selon qu’il soit Jeanne, ou Sorcière.
Jeanne/la sorcière, est brûlée sur la croix, les visages du peuple sont comme recouverts par des masques, dans sa mort elle dévoile ceux qui mentent, et elle s’affiche, toute nue, pleinement vraie.
Dans Belladonna le dessin excède l’intériorité des personnages. La mort de Jeanne/la sorcière, n’est pas vaine, son idée se répand en chacun, comme une œuvre, consommée par le spectateur, par le temps, comme un corps consumé par les flammes, mais qui laisse sa trace, fait vaciller les esprits, à travers le temps et l’histoire, le corps de Belladonna se donne en nourriture de l’esprit, et sa lumière est révélatrice.
J’ai consacré ma nuit à écrire ce texte, à penser à ce merveilleux film, à mon écriture, au lien qui pouvait les unir. Et maintenant je suis sûr d’une chose, lorsque je le reverrai, tout sera différent, car Belladonna est un film qui accepte le spectateur, fusionne avec lui, et pour chacun, et à chaque visionnage, se donne comme un film nouveau.
Belladona, titre original: Kanashimi no Belladonna (1973), d’Eiichi Yamamoto. Adapté de La Sorcière (1862) de Jules Michelet. Film japonais, distribué en France en 2016 par EUROZOOM.