Blaq Market, c’est le nom d’une collection que propose l’éditeur indépendant de DVD : Blaq out. Elle rassemble des œuvres inclassables, déroutantes, qui font fi des styles et des genres et des réalisateurs singuliers remarquables par leur identité formelle affirmée. Avec cette salve nipponne, elle met à l’honneur un vétéran du cinéma indépendant : Shinya Tsukamoto avec 2 films très différents : Fires on the Plain, adaptation du célèbre roman autobiographique de Ooka Shohei : Les feux de 1957 (édité au Seuil) et Tetsuo 3, une version occidentalisée de ses deux précédents Tetsuo. Elle met aussi en avant l’iconoclaste Hitoshi Matsumoto et son R100 : une loufoquerie sado-maso fort étonnante pour un spectateur occidental !
D’un point de vue formel, avec Fires on the Plain, Tsukamoto confronte le spectateur à la déréliction de l’armée d’occupation japonaise, aux Philippines vers la fin de la guerre du Pacifique, avant sa totale déroute sur ce territoire face à la résistance locale soutenue par l’armée américaine. Pamphlet radicalement antimilitariste, le film montre une des plus puissantes armées du moment tombée dans un total abandon de ses cadres et de son intendance, sans repère ni espoir de rentrer chez soi, sauf à être prisonnier des soldats US. Tsukamoto montre les atrocités de la guerre, nous plaçant au centre des combats avec un réalisme sans concession. Un des combattants, par exemple, veut récupérer le bras qu’il vient de perdre dans la mitraille tandis qu’un de ses camarades cherche à récupérer ce même bras pour le dévorer ! Car ces soldats en sont réduits à manger des racines de manioc ou de bambou pour seule nourriture. L’absurdité se lit dans de nombreuses scènes comme ce baraquement en bambou qui tient lieu d’hôpital et où les blessés sont plus torturés que soignés.
Tsukamoto met l’accent sur le rôle de l’écrivain Ooka Shohei que ce dernier avait décrit sans son livre autobiographique, en tenant lui-même et de façon magistrale, le rôle principal de ce soldat en perdition.
Camille DOUZELET