Au Japon, les yôkai sont des entités surnaturelles échappant à tout contrôle de l’être humain et qui peuvent revêtir toute forme matérielle ou immatérielle. Dans l’esprit du peuple japonais, à l’origine, c’était des démons : les oni ou des fantômes : les obake ; mâtinés d’animisme qui donne une âme à tout : êtres et choses. Il a fallu attendre l’ère Edo, à partir de 1600, pour que les yokais, d’êtres épouvantables, deviennent des esprits à l’aspect ludique, notamment à travers la prolifération des estampes de l’ukiyo-e. Cela aboutit à les considérer d’un point de vue purement divertissant, en particulier à travers des ustensiles de la vie quotidienne comme des baguettes, des bols ou des théières… De ce fait, ces objets prennent un aspect mignon : « kawaii » plutôt qu’effrayant. C’est cet esprit-là qui se perpétue au travers des siècles et que l’on retrouve maintenant dans de nombreux films d’animation, mangas et séries.
Le livre de Brigitte Koyama-Richard rend bien compte de cette évolution au travers des premiers mythes débouchant sur les plus beaux contes et légendes de la tradition japonaise. D’histoires racontées aux origines, les artistes vont s’emparer pour fournir une des plus belles iconographies qui n’a rien à envier à celle des Bosch, Bruegel et autres peintres des enfers occidentaux ! C’est ce que nous montre l’auteur dans son introduction pour se tourner ensuite vers son fourmillant sujet. L’ouvrage contient, en effet, de multiple reproductions sur doubles pages ou pages entières de ces sujets protéiformes et montrent que tout est matière à yôkai. Les animaux de itô Jakuchù forment une paire de paravents illustrant l’éléphant et la baleine. Des êtres fantastiques tels les feu follets des renards d’Utagawa Hiroshige deviennent de véritables augures. Mais plus avant encore dans le fantastique, on peut admirer le mariage des bakemono de Sei Sei Kyôsai, rouleau enluminé racontant le mariage de deux jeunes yôkai suivis par une procession d’une cinquantaine de personnages tous plus extravagants et extraordinaires les uns que les autres !
C’est ce qui fait le bien-fondé de ce somptueux livre d’une richesse iconographique sans égal, accompagnée d’une recherche historique sans défaut et d’une analyse éclairante et pertinente. On saisit bien l’esprit nippon dans cette prolifération des « esprits » !
A mettre entre toutes les mains !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Yôkai – Fantastique art japonais de Brigitte Koyama-Richard, nouvelles éditions Scala, 251 pages, 35€.