Transsibérien mon amour

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Lancé hors du temps par les viscères des fuseaux horaires, la vie est un aller simple qu’un train sait rendre éternelle. Quand l’âme à son allure s’embaume de l’alchimie de leur rencontre ; oubliant l’ultime vérité, douce est la folie qui vous enivre. Et ce tcukutchutchukuchu qui vous berce, vous manque une fois quitté… pas même le cd à Nature et Découvertes.
Une synchronie que certains éprouvent au vol, telle Marie Roman baptisée des ailes sur Lyon-Munich, première étape, première rencontre, sûrement la dernière à qui parler sa langue. Et puis, petit pied à terre à Moscou, et surgit déjà non loin un “quel pays de merde ! ” légitime lorsque les préposés aux bagages n’ont jamais joué à Tetris. La sainte Russie connaît sûrement une pénurie tandis qu’en Afrique les Game-Boy servent d’électro-cardiogramme.

Quand 30 km séparent cruellement l’aéroport de la gare : comment s’y rendre avec ses bagages et son argent ? Mieux vaut avoir réservé un taxi puisqu’à Sheremetyevo, taxi semble être l’abréviation de taxidermiste. Les risques de se faire plumer sont grands d’autant qu’un français du front vous dira sur le tas “va distinguer le vrai du faux”. Pas moyen de passer en mode novice dans les options ce qui aurait eu pour effet de réduire considérablement le nombre de gens peu scrupuleux. Quant au bon sens, il fait parfois fausse route. Réclamer de l’aide, à celui qui à fortiori est un responsable de la sécurité, en puisant au fond du puits de votre langue anglaise assez pour communiquer votre inquiétude de ne pas voir arriver votre chauffeur poussera ce responsable au puits presque à sec ivre de son pot de vin débordant à vous conduire auprès d’un de ces mâles chemise ouverte et gueule béante prêt à vous emmener au bout du monde. Mieux vaut ne pas lui montrer votre passeport qui sera pris en otage le temps de créer un avatar de votre chauffeur. Les personnages de cette mascarade ne sortant pas de l’Acting Studio vous déjouerez sans mal le complot se tramant sous vos yeux innocents. Au nom des tzars victimes de leur paranoïa, je m’étais juré avec une longueur d’avance sur le corbeau que l’on ne m’y prendrait pas, faisant subir un interrogatoire façon Guantanamo à celui qui brandissait soudainement mon passeport.

Au royaume des Lada, n’importe quelle autre marque est reine, si bien que les voitures de seconde main incarnent élégamment les taxis moscovites. Le manque regrettable de ceinture à l’arrière me projetait par instinct à la place du mort où trônaient plage avant l’effigie de Jésus et compagnie en Trinité, toujours aussi suspicieux, je priais pour que Judas n’en fut pas d’eux. Ce chauffeur en son intimité écoutait des airs classiques et me servait ce jour de la danse populaire qui diffusait une ambiance “Lylia 4 Ever” au vu d’une misère latente aux coins de rues et du destin cruel de beaucoup d’entre elles. Sa conduite n’était pas très éloignée de celle de Bruce Willis dans ce film au titre évocateur. A ce propos, il faut savoir qu’en Russie il est normal de doubler par la droite la voiture sur la voie la plus à droite, les klaxons faisant office d’instruments orchestrant ce ballet incessant. 50 minutes pour voir Moscou en plein déluge baigné dans la froideur post-apocalyptique d’une cité à l’écriture de bug informatique où survivent les fils d’Héraclès accablés par ce microclimat.

Laissé par ce chauffeur face à un panneau d’affichage équipé d’un semblant d’antivirus, je profitais des trois heures restantes pour combler ce que l’émotion avait creusé. Souvenez-vous de l’après-fête foraine de Pinocchio, assombrissez-la et vous obtiendrez le microcosme rayonnant autour des trains où deux catégories de moscovites à leurs antipodes entrent en mutation au contact des machines à sous ; synthèse d’une situation hautement plus complexe. Avec onomatopée troisième langue j’ai pu passer un coup de fil d’une cabine que l’absence de pictogramme rendait presque invisible et par l’incantation “a bottle of water please” ouvrir un frigo réticent. L’heure approchante et pas l’ombre de celui qu’on appelle transsibérien, accoster une famille de Chinois fut sûrement la meilleure initiative, récompensée par un guidage au wagon. L’un de ces quinze wagons que seule la beauté intérieure distingue.

De Moscou à Pékin, de Nice People à Kohlenta, à bord du transsibérien les rencontres éphémères se muent au gré des décors défilant, le temps d’une partie de cartes, d’une soupe ou d’une attente aux toilettes. Cosmopolite, l’espace transsibérien est un “World Without Stranger”, et des sourires pour langue universelle dont usa gracieusement, dans un temps nostalgique, un passager afin de me passer du baume au coeur puisque n’en ayant que pour les lèvres.
Ce travelling incessant offert à nos rétines berce plus que captive, et l’outil photographique quant à lui cristallise une persistance rétinienne trop éphémère… ainsi donc je vous souhaite un bon voyage visuel.

Souvenir impérissable : des monts noyés de brumes, le rythme lancinant des rails et des roues fraîchement équipées pour la Chine, l’annonce musicale plurilingue d’une arrivée proche ; l’illusion d’une projection 8 mm… le réalisme s’échappe et le voyage sensoriel atteint son nirvana. Rien ne l’altère pas même les heures éprouvantes passées aux douanes, y risquant mon appareil pour une photo qu’ils s’imaginent avoir détruite et qui figure parmi les autres. Le transsibérien se vit plus qu’il ne se raconte, et je vous encourage à passer une semaine d’une vie à son bord.

Pays : Chine

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