Tous les jours, on fait des choses, on croise des gens sur le chemin, on vit des émotions. Et après, vite ou lentement, on oublie. Ce dont on réussit à garder un souvenir, ce n’est malheureusement pas beaucoup. Et souvent c’est le souvenir de l’enfance qui reste le plus solide et le plus résistant aux poussières du temps et qui va nous accompagner tout le reste de la vie. Les films de WONG Kar-wai, enveloppants tous par une atmosphère pesante de nostalgie et de mélancolie urbaine, l’ont bien prouvés.
Né en 1958 à Shanghai, WONG Kar-wai s’est installé à Hongkong avec sa famille lorsqu’il avait 5 ans. D’un coup, le petit garçon se trouvait arriver dans un monde radicalement différent de ce qu’il connaissait. les yeux grands ouverts, il le regardait. Quel était le sentiment, ou bien le choc, qu’il a eu au fond chez lui, aujourd’hui, on a des difficultés à imaginer. Mais, ses films nous ont tout dit. De 1988 à 2000, il a fait 7 films, qui sont bien connus par les spectateurs occidentaux (sauf le premier “As tears go by”, qui est toujours inédit en Europe). A l’exception des “Cendres du Temps”, un film d’arts martiaux, tous ses autres films prennent la vie urbaine pour thème. Tournés à Hongkong ou ailleurs, peu importe. En tout cas, ils parlent de la vie d’une seule personne, le hongkongais, et d’une seule ville, Hongkong. Hongkong qui “existe dans tous mes films comme un personnage à part entière“. Donc, il n’est plus étonnant de voir qu’il n’a filmé que des tunnels, des passages mal éclairés de Buenos Aires dans “Happy Together” et n’a été guère attiré par ses immenses boulevards, ni ses beaux bâtiments. Car, ce qu’il a cherché à nous montrer dans l’esprit du film, c’est bien la manque et l’amour pour sa ville Hongkong. Pas la ville d’aujourd’hui, mais celle d’il y a une trentaine d’années – le Hongkong des années soixante aux yeux d’un petit garçon.
Très sensible au son et au rythme, son goût pour la musique marque bien le grand événement de l’époque où on voit naître des grandes vagues d’immigration à Hongkong pour des raisons politiques. Les immigrants, en s’installant, apportent avec eux aussi leurs musiques propres. Ceux de la Chine continentale sont venus avec toutes sortes de musiques locales traditionnelles, ceux de l’Inde la musique indoue, etc., etc. de ce fait, au niveau musical, c’était une époque complètement ouverte et mélangée. Cela explique bien la variété surprenante des musiques apparues dans les films de WONG Kar-wai. De plus, tentés par l’épanouissement économique de la société hongkongaise, de nombreux chanteurs philippins sont venus pour jouer dans des boîtes de nuit. Ils apportaient la musique latino et du jazz, héritiers de la colonisation des américains et qui ont fascinés le petit WONG Kar-wai et sont toujours la grande passion de sa vie. La musique la plus représentative qui enchaînent presque tous ses films en a trouvé la source.
Dansant au rythme de la musique, les femmes de WONG Kar-wai, tant mystérieuses qu’excitantes, sont toutes l’incarnation parfaite de l’esprit de l’époque. Elles viennent à peine de sortir de la maison pour travailler dans les offices, mais elles gardent tout de même l’habitude d’être entretenus par un homme, ce qui ne leur rendaient pas honteuses, même bien au contraire. Elles savent bien utiliser leur “capital primitif” – le fait d’être femme, et cherchent à tout prix à affirmer leur féminité pour charmer les hommes. La vie pour la femme de Hongkong, c’est une pièce de théâtre dont elle est elle-même l’héroïne, et elle passe toute sa vie à chercher son héros. Pour bien jouer ce rôle, elles sont toutes incroyablement soucieuses de leur apparence physique. Toujours bien maquillées, parfaitement habillées, même juste pour aller chercher un bol de nouilles dans la petite rue à côté. Etre bien éduquée, n’est pas encore très demandé. Elles se contentent de passer toute la journée à jouer au ma-jong à quatre et en même temps à se raconter des petites histoires des autres femmes et hommes. Elles ne prennent jamais la peine de chercher les grands plaisirs de la vie. Pour elles, la vie est simplement constituée des petits plaisirs de la quotidienneté où bien manger occupe une place très importante. Exigeante, elles passent énormément de temps à faire une cuisine raffinée en fonction de la saison. Cela a été bien confirmé dans “In the Mood for Love”, dans lequel la nourriture joue le même rôle que la robe de Maggie CHEUNG, qui signifie le changement de temps de saison à saison. Par exemple, quand on mange les petites brioches des légumes, on est bien au printemps. Malheureusement, complètement perdus dans l’élégance de Maggie CHEUNG, les spectateurs occidentaux y font très peu attention, ce qui est bien le regret du réalisateur.
Le temps passe vite ! un clin d’œil et 38 ans de WONG Kar-wai sont déjà déroulés dans cette ville qui a enregistré tous ses sourires, ses éclats de rire ainsi que ses larmes dans les coins. Donc, filmer les lieux et en imprimer le souvenir. Voilà son souhait. Il filme beaucoup le vieux quartier Wanchai, à l’est de la ville, où existent encore de vieux immeubles, des bâtisses d’un autre temps, des restaurants aux décors somptueux. A l’aide de sa caméra, il a réussit à nous amener à son Hongkong, et à nous montrer tel qu’il était, comme ce qui est fait dans “Les Anges Déchus”. Il ne s’agit pas de conserver le patrimoine, mais tout simplement de garder, par les moyens d’un film, une forme ou une présence en rapport de sa vie. Autrement dit, il s’efforce de tisser un ensemble de souvenirs remarquables de ce morceaux de tissu dont le nom est la vie.
Pays : Hong-Kong