A Nagoya, Gorô Kida, la cinquantaine bien portante est satisfait de lui-même. Il est marié à une femme soumise, a deux enfants qui font des études qu’ils poursuivent avec assiduité. Il a aussi deux maîtresses dont une très belle actrice. Il est président d’une distillerie florissante, fondée par son grand-père, reprise par son père auquel il a lui-même succédé. Il se fait prendre en photo avec des personnages en vue et les accroche sur ses murs tels des trophées. Et cette autosatisfaction pourrait perdurer si, les uns après les autres tous ces motifs de fierté ne lui échappaient pas. Si bien qu’il se retrouve seul, sans comprendre pourquoi… Ce qui l’amène à douter, à déprimer car il n’existe plus pour personne. Mais n’est-ce pas là, l’occasion d’un nouveau départ ? Vivre sa propre vie plutôt que celle toute tracée du mâle nippon…
Aki Shimazaki écrit directement en français. Elle vit à Montréal et aime à écrire de longues séries : deux pentalogies : Le poids des secrets et Au cœur du Yamato qui, toutes, se passent dans ce Japon qu’elle a quitté. Suisen (Narcisse) est le troisième opus d’une nouvelle série. Comme à son habitude, son style est dépouillé. Pour montrer l’état d’esprit de Gorô, elle lui fait dire : « Après tout, qu’est-ce que c’est, l’amour ? J’aime bien toutes les femmes qui couchent avec moi. C’est tout. Les femmes aiment aimer, et les hommes aiment être aimés, voilà ce que je crois. Il faut en profiter. » Le personnage n’est pas sympathique mais le lecteur est curieux de savoir jusqu’où il peut aller dans la goujaterie et ne peut plus lacher le roman. C’est ce qui fait la virtuosité de l’auteure qui, plutôt que d’accabler son héros l’accompagne et le comprend. La compassion étant le fondement de son œuvre.
Camille DOUZELET
Suisen, Aki Shimazaki, Leméac / Actes Sud, 168 p. Avril 2017, 15€.