Le roman graphique est un genre qui prend une grande ampleur et aborde tous les sujets. Celui-ci met en scène Kumiko, une vieille dame de 76 ans qui refuse de vivre dans la maison de retraite que ses filles lui ont trouvée. Elle s’en échappe et rejoint secrètement l’appartement qu’elle s’est choisi. Elle se délecte ainsi des plaisirs quotidiens : aller à la piscine, déguster ce qu’elle veut ou décorer selon ses goûts. Mais elle se rend compte qu’elle a embarqué avec elle l’ombre de la mort…
La scénariste Hiromi Goto avait déjà mis en scène une femme de 85 ans dans son 1er roman Chorus of mushrooms. C’est, dit-elle, en raison de l’influence de son obachan, sa grand-mère qui les a élevées, elle et ses 2 sœurs. C’est aussi parce que cette catégorie de personnage n’est jamais représentée « en tant que figure captivante, héroïque, forte, complexe… Pourriez-vous citer un film nord-américain grand public mettant en scène une héroïne âgée et queer, noire ou autochtone ? » dit-elle encore.
On a tout cela dans Shadow Life. Kumiko vit sa crise d’adolescence ! Les rôles mère – filles se sont inversés. Ce sont elles qui s’inquiètent de son silence, qui n’acceptent pas son indépendance revendiquée et qui veulent pouvoir la joindre à tout moment. Passant outre, elle se débrouille seule, trouve même le moyen de mettre à bas la mort. Elle retrouve aussi son amour de jeunesse : Alice une vieille femme qui, comme elle, bataille contre la Grande Faucheuse. Et elle fait aussi de belles rencontres : son adorable voisin, toujours prêt à rendre service, Meena la vendeuse d’aspirateurs, rude mais serviable. Même si Kumiko sent son âge et sa condition la rattraper : elle ne maîtrise pas ses fuites urinaires, elle perd ses cachets ; elle préfère toujours aller de l’avant et rire de ses faiblesses. Son humour est à la fois décapant et attachant.
C’est ce caractère bien trempé que met admirablement en forme Ann Xu. L’illustratrice croque Kumiko en petite bonne femme rondelette, toujours en action. À l’image de la couverture où elle brandit son aspirateur comme une hache pour bouter l’ombre de la mort hors de chez elle. Son graphisme en noir et blanc est épuré, réhaussé d’un délicat lavis. Cette ombre macabre est protéiforme. Elle prend d’abord l’allure d’un chat toujours se faufilant, s’allongeant. Elle finit par une araignée. Mais les plus remarquables sont les petits esprits oiseaux qui prennent soin d’elle dans les moments difficiles. Les nombreux signaux que la Faucheuse est proche aussi. Kumiko et bientôt Alice sont les seules à les voir.
Le tout est teinté d’un discret féminisme qui explose dans la parole d’Alice, dans l’allure de Meena et tout simplement dans la farouche détermination de Kumiko à vivre sa vie. Magnifique !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Shadow Life, Hiromi Goto au scénario et Ann Xu au dessin, 368 p. En noir et blanc, format 15,5 X 22 cm, 22,90€, collection Ankama BD, éd. Ankama. En librairie le 14 janvier.