Mumbai, Bandra West, 16h45. Il fait très chaud. A peine remis d’une escapade incroyable dans une microscopique boutique au coeur de la ville où sont empilées des milliers d’affiches de films, le coeur battant et sur notre 31, osant à peine y croire, nous nous apprêtons à rencontrer Rakeysh Omprakash Mehra…
A 44 ans, le chemin de la vie s’est tout à coup tapissé de pétales de roses pour Rakeysh avec la propulsion au top du top de Bollywood, de son film Rang De Basanti.
Jusque-là peu connu dans le monde du cinéma, Rakeysh a ses premiers succès dans le domaine publicitaire avec sa société Flicks Motion Picture Company Private Limited, fondée en 1986. Il réalise et produit des films publicitaires pour des clients indiens ou internationaux comme Coca, Pepsi, Toyota, American Express et BPL ainsi qu’un clip vidéo avec Amitabh Bachchan “Aby Baby”.
En 2001, il réalise un premier long métrage, “Aks”, thriller policier et psychologique : un agent secret liquide un tueur mais est ensuite hanté, pour le restant de ses jours, par l’esprit du mort. Culpabilité ou Karma, à vous de choisir… Malgré un casting de choix, Amitabh Bachchan dans le rôle du flic, Manoj Bajpal dans celui du tueur, Nandita Das, le film ne plaît pas au public indien. Trop original sans doute. La performance des acteurs est cependant saluée.
Janvier 2006 : Rang De Basanti sort sur les écrans indiens, distribué par U.T.V. Motion Pictures. Rapidement N°1 au box office, il gagne aussi la diaspora indienne éparse entre l’Europe occidentale, le Canada et les USA, en passant par l’Australie. Il rafle pas loin de 50 prix : difficile de vous les lister ici, on notera juste le Grand Prix du Public du Festival Asiexpo 2006 et le prix londonien du BAFTA (British Academy of Film and Television Art) qui ouvre les portes de la distribution européenne pour une version courte : “The Colour of Sacrifice”…
En cette période du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Inde, Rang De Basanti, qui signifie littéralement “donne-moi la couleur orange”, cette couleur orange étant symboliquement chez les Hindous celle du courage, tape dans le mille : une journaliste anglaise, Sue Mc Kinley (Alice Patten), arrive en Inde afin de réaliser un documentaire à partir du journal intime de son grand-père, le capitaine Mc Kinley. Cet officier de l’Empire des Indes, honnête et intègre, raconte sa rencontre avec un groupe de jeunes révolutionnaires qu’il est chargé de réprimer, ses doutes et désaccords avec sa mission et les ordres de ses supérieurs. Sue rencontre la jeunesse indienne d’aujourd’hui, déjantée, désabusée, non concernée par l’histoire de l’Inde. Son destin croise celui d’un groupe d’étudiants sensibles, conscients mais quelque peu passifs : Karan (Siddhart), D.J., (Aamir Khan), Aslam (Kunal Kapoor), Sukhi (Sharman Joshi) et Sonya (Soha Ali Khan), auxquels se ralliera ensuite un membre du BJP (parti fondamentaliste hindou), Laxman Pandey (Atul Kulkarni)… et l’aventure commence : les uns et les autres se prennent au jeu, font connaissance avec Bhagat Singh, Chandrashekhar Azad, Ramprasad Bismil, Ashfaqullah Khan, Rajguru et Durga Bhabhi. Vous les connaissez, vous, ces héros de la Révolution ? Peu probable… Oubliés derrière la haute figure de Gandhi, on ne se rappelle plus guère (voire on n’a jamais connu…) ces personnalités qui, pourtant, ont elles aussi, marqué le chemin de l’Inde vers son indépendance. Ebranlés, réveillés dans leur être, dans l’appartenance à ce pays qu’ils aiment, D.J et ses amis se révoltent lorsqu’ils sont confrontés aux injustices du système actuel, à l’instar des héros qu’ils incarnent pour le film de Sue. Courage, liberté, espoir pourraient décrire ce qui anime les personnages d’hier comme ceux d’aujourd’hui, à la recherche d’une Inde indépendante et heureuse, ainsi que l’amour, l’amitié, la fraternité au-delà des races, des castes et des religions.
L’Inde est touchée par le message de Rang De Basanti…
Il est 17h pile. Rakeysh est là : simple, décontracté, chaleureux, il nous accueille, nous offre un tchai, s’intéresse à nous, à Asiexpo, à la France.
Puis il nous raconte… Il nous explique comment sa jeunesse a été bercée par les idéaux qu’il exprime dans son film et comment celui-ci est un aboutissement, une confluence de plusieurs messages. Il avait d’abord pensé ramener à la mémoire du public, comme d’autres cinéastes l’ont fait dans ces années 2000, l’histoire de Bhagat Singh. Sa première version s’appelait “The Young Guns of India”. Testant la jeunesse autour de lui, il rassemble un groupe auquel il montre le scénario. Mais cette jeunesse-là est surtout préoccupée par sa tenue vestimentaire, ses amours ou ses études pour progresser matériellement voire émigrer vers l’occident. L’histoire de Bhagat Singh et de l’indépendance n’est pas leur priorité, loin de là… Alors, Rakeysh, impressionné par cette jeunesse plus moderne même que l’Occident dont elle s’inspire, change de registre : il choisit de partir de là où en sont les jeunes Indiens aujourd’hui. Et il invite Sue alias Alice Patten. Hormis Aamir Khan, bien connu de Bollywood, notamment pour ses rôles engagés sur le thème de l’Indépendance dans Laagan (A. Gowariker), Mangal Pandey (K. Mehta) ou 1947 (D. Mehta), il choisit des acteurs peu connus, pour plus de fraîcheur. Plusieurs mois de travail acharné, une Anglaise qui apprend le hindi pour les besoins du film, vous vous rendez compte ? et… c’est la surprise. Rang De Basanti réveille son public avec sa fin controversée, ses personnages de la vie quotidienne, comme nous, bien ancrés dans la réalité, et qui deviennent des héros en sacrifiant leur vie pour la Liberté. La musique de A.R. Rahman, rythme le film et donne une envolée lyrique au célèbre poème révolutionnaire de Bismil. Le succès ne monte pas à la tête de Rakeysh : il le restitue au public. C’est le public qui fait le succès du film, dit-il. Chaque disque acheté, chaque DVD acheté en fait un peu plus la propriété de son public. Et l’impact social, qu’en dit-il ? : Quelques mois après le film, une manifestation a lieu à Delhi, au pied de l’India Gate, avec des milliers de chandelles allumées en mémoire de Jessica Lal, une jeune femme tuée par hasard, par le fils d’un homme politique influent qui a été relâché faute de preuves. Suite à la manifestation, l’affaire est rejugée et le coupable condamné. D’autres manifestations silencieuses suivent, dont une à Varanasi (Bénarès) et une à Lucknow, dans le cadre d’affaires de corruptions ou de négligences du système judiciaire. Comme dans Rang De Basanti. Rakeysh ne semble pas effrayé : le film a pris son indépendance. Il en est conscient et l’accepte. Et en toute simplicité. Rang De Basanti devient une source d’inspiration, un modèle. Rakeysh est invité de par le monde pour présenter son film, jusqu’en Australie et aux USA. Lorsque nous évoquons une hypothétique venue en France, il sourit : “I like to meet people, I would be more than happy to bring to you The Colour Of Sacrifice”… On l’espère de tout coeur.
Son prochain projet : Delhi 6.
Il n’en revient pas du fonctionnement indien : chaque matin nous dit-il, il regarde par la fenêtre et les images de la rue le rendent perplexe. Toutes ces incohérences, ce système encore bien branlant, ces choses que l’on confie au hasard, cette diversité qui peut être une force mais aussi un point faible, ces croyances qui font qu’on a toujours un pied dans l’irrationnel… L’électricité, la télévision, les voitures, tout devrait s’arrêter tellement les bases sont fragiles. Et pourtant, ça marche ! Et même, ça progresse puisque l’Inde est en passe de devenir l’une des puissances économiques mondiales ! Delhi 6 sera une comédie qui se moquera de ce système. Le film est prévu pour la fin 2007. On est impatient de le découvrir.
juillet 2007
Pays : Inde