Suite à la projection lors du 13e Festival Cinémas & Cultures d’Asie du film “Le Journal d’une jeune nord-coréenne” et à sa sortie en salle (le 26 décembre 2007), Antoine Coppola revient pour Asie News sur le cinéma nord-coréen.
Le cinéma nord-coréen est totalement méconnu en France, on est même surpris d’apprendre qu’il existe. Pouvez-vous nous en présenter les grandes lignes ?
Pour cela il faut tout d’abord aborder l’histoire du cinéma coréen tout court. La séparation s’est faite en 1953 au moment de la création de la Corée du Nord. Au début du siècle, avec les prémices du cinéma coréen, on trouvait déjà une tendance très engagée. Dans les années 20 est apparue une organisation marxiste appelée la KAPF (Korean Artistic Promotion Foundation). On ne sait pas exactement à quoi ressemblaient les films de ce mouvement, car ils ont été détruits ou n’ont pas encore été retrouvés, mais d’après les témoignages, il s’agissait d’oeuvres qui ressemblaient à ce qui se faisait en URSS ou en Chine. On peut donc dire que le cinéma de Corée du Nord a pris sa source dans cette organisation.
Fait étonnant dans l’histoire de ce cinéma, Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord, était aussi la capitale du cinéma en Corée, et ce avant même la séparation. C’est là qu’étaient les studios, les acteurs et techniciens. On peut donc dire qu’après la partition de la Corée, le cinéma est resté au Nord. D’ailleurs, si vous lisez les encyclopédies du cinéma rédigées par des européens dans les années 50-60, pour eux, le cinéma coréen se situe au Nord, et c’est là que l’industrie cinématographique progresse, se développe, sous l’influence soviétique et chinoise. A contrario, le Sud est vu comme une colonie américaine, un territoire réservé aux importations occidentales.
Un élément important de l’histoire du cinéma nord-coréen est le fait que, comme dans les régimes chinois et russes, les dirigeants pensent que ce médium est un vecteur essentiel de propagande politique, sociale, comportementale, … Ce n’est donc pas pour eux un outil commercial, mais un élément qui concernait la Nation, l’identité du pays, et qui permettait de faire passer des messages politiques. Kim Il-sung, le fondateur de la Corée du Nord, s’est ainsi intéressé au cinéma, et quelques uns de ses écrits ont même été adaptés au cinéma. Mais c’est surtout son fils, Kim Jong-il, qui est un grand cinéphile : il a écrit un livre qui s’appelle “L’art du cinéma”, et plusieurs petits ouvrages racontent sa propre pratique du cinéma, comme cameraman ou comme scénariste. Il y a donc à la fois l’influence communiste qui voit le cinéma comme un médium essentiel, et un intérêt tout particulier de la part de la famille Kim.
Parlez nous du cinéma sud coréen de la deuxième moitié du XXe siècle. Je crois que lui aussi pratiquait la propagande.
C’est différent. En Corée du Sud, il y avait plusieurs genres cinématographiques, et une censure très forte. Le film anticommuniste représentait un genre à part entière, et les réalisateurs étaient contraints par le Bureau du Cinéma d’en faire au moins un de temps en temps. Il s’agissait souvent de films de guerre, où l’on montrait de façon très caricaturale des communistes : ils étaient très laids, méchants, idiots… Des réalisateurs très connus sont passés par ce genre de films, comme Im Kwon-taek ou Yu Hyun-mok (présent à Lyon au festival 2006). Cette propagande était toutefois tellement grossière que le public n’était pas dupe. Par contre la censure était plus vicieuse et plus présente dès lors qu’un réalisateur abordait des problèmes sociaux ou politiques, de la partition du pays, de la séparation de familles. On peut dans ce cas parler d’une propagande par soustraction d’informations, de désinformation. A contrario, celle du Nord répondait à un mot d’ordre, il y avait un message à faire passer, un idéal à défendre, et ainsi un acharnement à dire : “voici la vérité, voici les faits tels qu’ils sont, voici ce qu’il faut faire”. Ces films montraient toujours la gloire du pays, la gloire du socialisme, qui plus est une gloire qu’il fallait mériter, qui partait de rien et demandait de nombreux sacrifices. On a donc d’un côté une propagande passive, par désinformation, et de l’autre une propagande active, qui soutient une idéologie.
Dans les films sud-coréens récents, la partition du pays est en général vue comme une mutilation. Le sujet est-il abordé dans le cinéma nord-coréen, et si oui, de quelle façon ?
En Corée du Nord, il y a un traitement verbal assez étonnant de tout ce qui vient du sud. D’après le discours des dirigeants, le discours communiste classique, le peuple est uni dans la lutte des classes. Les dirigeants du sud sont qualifiés en termes très vulgaires : de pantins à la solde des USA, de débiles militaires, et ils font partie des méchants impérialistes. Ainsi, chez les nord-coréens, la séparation n’est pas vue comme telle, mais plutôt comme l’occupation d’une partie du pays par les impérialistes. Il y a donc plus une idée de guerre pour récupérer le Sud, plutôt que de séparation tragique. Il faut se rappeler qu’il n’y a toujours pas de traité de paix entre la Corée du Nord et les USA, officiellement, ils sont toujours en guerre.
Quel statut possède un film comme “Le journal d’une jeune nord-coréenne” (aka The Journal of a Schoolgirl), projeté au festival cette année. Est-ce un film uniquement destiné au marché local, ou a-t-il également vocation à transmettre un message à l’international ? Et a-t-il été difficile de faire sortir le film de son pays ?
De façon assez surprenante, cela a été assez facile. J’avais participé à la diffusion de films nord-coréens au début des années 2000 : Pyongyang avait organisé une tournée d’une trentaine de films nord-coréens en Europe. Malheureusement, ils n’ont pas trouvé de lieu de diffusion en France. La présence du “Journal d’une jeune nord-coréenne” en France est donc un événement, puisque c’est le premier film de Corée du Nord a être diffusé officiellement et surtout commercialement dans notre pays. Je pense que la politique du bureau du cinéma de Pyongyang est de livrer de temps en temps des films pour qu’ils soient diffusés à l’étranger. Ils agissent de la même façon avec la Corée du Sud : parfois, on peut découvrir un film du Nord au festival de Pusan. Ils choisissent le moment, c’est une démarche diplomatique, stratégique. Je pense qu’ils veulent communiquer, ou tout du moins qu’il y ait un certain écho par rapport à ces films là. On a même parlé récemment d’intérêt commercial : le cinéma du Sud marche tellement bien que cela a pu donner des idées à Kim Jong-il, qui a besoin d’argent. Mais cette “libération” de films est épisodique et stratégique, bien qu’on n’en connaisse pas exactement la logique. Dans le cas précis du “Journal d’une jeune nord-coréenne”, les tractations ont été longues, le pays étant très bureaucratique, mais sur le principe, ils ont finalement accepté assez facilement. Il faut toutefois préciser qu’ils ont vendu les droits du film pour l’Europe, il ne s’agit ni d’un prêt ni d’un don.
(Antoine Coppola est un spécialiste du cinéma asiatique, auteur de livres et de documentaires sur le sujet, professeur à l’Université d’Aix en Provence et consultant pour de nombreux festivals internationaux)
(Lyon, novembre 2007)
Retrouvez le mois prochain la suite de l’interview d’Antoine Coppola, où il nous parlera du cinéma sud-coréen.
Pays : Corée du Nord