Nancy-Saïgon d’Adrien Genoudet paraît demain aux éditions du Seuil.

Nancy-Saïgon, c’est la distance qui sépare le lieutenant Paul Sanzach de sa femme Simone durant la guerre d’Indochine. Le premier a embarqué à l’Estaque à bord du Pasteur pour le cap Saint-Jacques, aujourd’hui « ville balnéaire de Vung Tau », en février 1949. Simone l’a attendu de longues années à Nancy avec sa fille Edithe, née après le départ de son père. « La première fille d’une famille […] jamais commencée ». Sanzach n’est jamais revenu, en effet.

C’est cette histoire oblitérée par toute la famille du narrateur, Simone la première, qui ressurgit à l’occasion de l’incinération de l’esseulée, enlevée du caveau familial pour « faire de la place » et du débarras de sa maison. Edithe envoie alors au narrateur, dont on sait seulement qu’il habite place d’Italie à Paris et qu’il a un lien familial (fils, neveu d’Edithe ?) l’ao dai avec lequel Simone a été enterrée et un carton de lettres titré « Nancy-Saïgon ».

Dans l’enfermement du confinement de 2020 2021, le narrateur lit ces lettres restées mortes durant si longtemps et se fait omniscient pour dérouler le roman familial, mais aussi historique, jamais écrit, ni même raconté.

C’est alors qu’entre en scène un certain Tilleul, jeune homme de 20 ans, embarqué lui aussi sur le Pasteur pour soutenir la colonisation, comme tant d’autres jeunes soldats tout juste sortis de l’enfance. Ce sont ces 3 points de vue qui se complètent sur ce moment de bascule .

« La petite guerre qu’ils menaient sans rien derrière, pour de vagues drapeaux enfilés, des cargaisons de caoutchouc et de latex », sans parler de l’opium. Une guerre dérisoire, mais que l’on fait « quand même ». Sanzach, au début droit et humain devient alcoolique, violent et sans scrupules tandis que Tilleul est le seul à ressentir de la honte pour ce qu’ils font aux Vietnamiens. Tandis qu’à Nancy, Simone égraine sa solitude, son attente et ses désirs.

Le style d’Adrien Genoudet est généreux, ample jusque dans le moindre détail. Il dresse de vivants portraits à la Victor Hugo. Que ce soit du voisin du narrateur M. Tran, une véritable mort ambulante, ou de l’officier Brunet, l’incarnation de la bêtise pour Sanzach durant le voyage haut en couleur sur le Pasteur, lui-même personnifié. Sa richesse d’évocation immerge totalement le lecteur dans la chaleur humide, poisseuse et puante de la jungle. Elle rend admirablement compte de l’incongruité de la guerre, son absurdité, sa barbarie et sa monstruosité. Elle fait par exemple d’un « petit garçon exemplaire » un « vrai homme […] qui a « connu toutes les immondices, toutes les ignominies, toutes les saletés du monde ». C’est un extrait d’une lettre de Victor Marchal, surnommé Typhon qui apparaît dans le livre. Adrien Genoudet a, en effet, consulté de nombreuses archives personnelles d’abord mais aussi celles du Service historique de la Défense pour irriguer son roman.

Mention spéciale pour son attention au sort des femmes. Simone, Edithe, oubliées dans l’histoire. Les Vietnamiennes et autres Asiatiques envoyées dans les bordels de Cholon et d’ailleurs ou vendues aux officiers étrangers par leur propre père.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

Nancy-Saïgon d’Adrien Genoudet, 304 pages, 21 €, éd. Seuil. En librairie le 22 août 2025.

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