A force de comparer Miyazaki à Disney, j’avais fini par le croire. Miyazaki était pour moi “celui qui faisait du Disney intelligent”. “Mon Voisin Totoro”, “Porco Rosso”,… autant de films à la fois légers, drôles et pertinents qui m’avaient charmé. Je suis allé voir “Mononoke Hime” (titre japonais du film) dans cet état d’esprit. Autant dire que le réveil a été difficile. Il n’était plus question d’enfants au contact avec la nature ou de combats de pilotes d’hydravion dans l’Adriatique mais du combat entre les hommes et les dieux. Avec Princesse Mononoke, Miyazaki nous présente un mythe fondateur, une genèse de l’humanité. La nature n’est plus un espace rassurant où le réalisateur de Totoro revivait ses souvenirs d’enfance : elle est le lieu du génocide des divinités. L’homme ne cherche plus à renouer avec son environnement mais tue ses Dieux pour pouvoir vivre dans une nature inhospitalière où il n’y a pas de place pour lui. Le message autrefois humaniste devient étonnamment misanthrope : l’humanité s’est construite sur un meurtre premier, celui des Dieux de la nature. Lorsque la reine tue le Dieu-cerf, elle permet à l’homme de prendre place dans le monde. La naissance de l’humanité s’entache de sang et on se demande si Miyazaki ne regrette pas cette victoire.
On le voit, Princesse Mononoke est un film audacieux et subversif. Le parallèle avec “Tarzan” est d’ailleurs savoureux. Ce dernier propose un écologisme naïf et simplet, avec d’un côté les méchants qui détruisent la nature et de l’autre les bons qui la respectent. A l’opposé, le cinéma d’animation avec Mononoke devient philosophique. Ce film peut vous ouvrir les yeux sur les autres films de Miyazaki. J’avais vu trop innocemment Mon Voisin Totoro. A la lumière de Mononoke, il apparaît un discours latent, celui d’un retour à un Japon rural où le shintoïsme reliait encore les hommes à la nature. On aurait tort de penser que Miyazaki est un cinéaste “jeune public”. C’est un artiste engagé qui tout au long de son œuvre a dessiné une certaine conception de l’homme, entre misanthropie désillusionnée et espoir de trouver dans les enfants une fraîcheur et une innocence perdue.
(Simon Serverin)
Pays : Japon