En racontant sa vie, c’est à peu près celle de l’animation japonaise que Shigeyuki Hayashi alias Rintarô nous livre. Entre manga et roman graphique, rythmée comme un récit d’aventures, cette autobiographie commence par sa naissance en 1941 et se termine à l’orée du 21ème siècle, le 26 mai 2001 très précisément, par « le plus beau jour de [sa] vie, [celui où il a] atteint le cinéma qu’[il] avait cherché » avec la sortie de son Metropolis adapté du manga d’Osama Tezuka.
À 83 ans, Rintarô est une légende vivante de l’animation japonaise, nous avons pu le constater lors de sa masterclass organisée par le Festival international du film d’animation d’Annecy en juin dernier (1). Enfant de la guerre, il a vécu le déplacement de sa famille de Tokyo vers une montagne reculée. Revenu de sa mobilisation, son père y ouvre un salon de coiffure, mais ne supporte pas l’éloignement de la culture. Ce passionné de théâtre et de cinéma retourne bientôt à Tokyo et y fera venir sa famille quand il aura trouvé logement et travail.
Pendant ce temps le jeune garçon dessine et lit encouragé par ce père cinéphile. Une fois la famille réunie, il s’enivre du quartier de Shinjuku ressuscité après sa destruction. Pour lui « c’est un autre monde ». Abreuvé de films européens, le mauvais élève en classe fabrique une lanterne magique, écrit un scénario, tandis que son père, coiffeur, achète « une boîte à rêves », une télévision à crédit pour faire venir les clients. Il s’endette, renonce à jamais à son rêve. Mais son fils l’atteindra pour lui, non sans mal.
Et de séquence en séquence, on découvre les aventures professionnelles du jeune Rintarô. Il traville dans différents studios. La Toei d’abord qui veut rivaliser avec Disney, en 1958, avec Le Serpent blanc. La rencontre du célèbre mangaka Osama Tezuka est décisive car lui fera toute confiance pour l’adaptation de son Astro Boy en série pour la télévision naissante. Et ainsi de suite jusqu’à Metropolis qu’il réalise pour le cinéma. Six ans de travail acharné où il réussit à personnifier « le jeu entre l’ombre et la lumière » si cher à son père.
Car, c’est ce qui ressort de ce bel et volumineux album : l’animation au Japon, c’est un travail de jour comme de nuit de toute une équipe ! Les cadences infernales s’enchaînent quel que soit le studio ou l’époque. Rintarô reconnaît à plusieurs reprises « la dureté du travail » mais aussi « la liberté de création » jusque dans les années 70. C’est d’ailleurs lorsqu’il la perd, quand il se « sent à l’étroit » qu’il s’en va voir ailleurs. Il n’oblitère pas les 2 ans de 1972 à 1974 de vie de hippie apathique avant la création de la série mythique tirée du manga de Leiji Matsumoto : Albator le corsaire de l’espace. Belle revanche pour l’ancien « mauvais employé » de la Toei qui parvient à faire pleurer le patron réputé insensible !
Cette véritable histoire de l’animation japonaise vécue de l’intérieur se lit d’autant plus facilement qu’elle ne manque pas d’humour. De l’épouillage au DDT des jeunes enfants d’après guerre aux 2 sauterelles philosophes regardant s’éloigner notre héros vieillissant sur son vélo de course digne du tour de France, c’est un régal de références. Elles sont d’ailleurs souvent occidentales voire françaises. Rintarô arbore, par exemple, une casquette, hommage à Jean-Paul Belmondo qu’il admire depuis À bout de souffle et en référence à Flic ou voyou. C’est aussi de nombreux arrière plans de vignettes remplis de pochettes d’albums rock’n roll ou jazz, d’affiche de cinéma… Une véritable immersion dans le foisonnement de sa vie et de son métier.
Chapeau bas M. Rintarô !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Lire notre chronique : https://asiexpo.fr/festival-international-du-film-danimation-dannecy-la-seance-evenement-rintaro/
Ma vie en 24 images par seconde de Rintarô, traduit du japonais par Shoko Takahashi, 256 pages, 27,90€, éd. Kana.