Une nouvelle fois les éditions Taschen nous proposent un somptueux ouvrage d’un pan moins connu du travail d’Hokusai. Érudit et esthétique, il présente tout l’œuvre érotique du maître qui se décline en 8 livres et séries d’estampes au format oban (25,5 X 37,5 cm) complets réalisés entre 1786 et 1823. Avant donc, les ukiyo-e qui le rendront célèbre dans le monde entier.
La présente édition est mise en œuvre par l’éminent spécialiste maison de l’estampe japonaise : Andreas Marks (1). Il y introduit ces « images printanières », c’est la traduction de shunga, d’un point de vue historique et sociétal. Le Japon a une vision de la sexualité totalement opposée à celle de la prude Europe que le christianisme corsète. Elle s’inscrit, en effet, dans un contexte plus large de la fécondité et des récoltes abondantes, elle est donc vénérée et totalement acceptée dans la société nipponne. Mais, malgré cette acceptation de la sexualité, les shunga sont officiellement interdits et officieusement tolérés. Leurs auteurs prennent donc des pseudonymes pour ne pas être inquiétés et passer outre la censure confucianiste à l’œuvre sous le gouvernement Tokugawa.
Hokusai s’insère donc dans une tradition commencée au début de l’ère Edo (1606 – 1868) et qui s’éteindra au XXè siècle, comme l’estampe ukiyo-e puisqu’elle le shunga en est un des thèmes principaux. Mais les nombreux pseudonymes pris rendent difficile l’attribution à leur véritable auteur. Et Andreas Marks n’en fait pas mystère, il rectifie même des erreurs antérieures.
« Les shunga connaissent les mêmes évolutions stylistiques que les autres catégories d’estampes, surtout à la fin des années 1770, lorsqu’on donne plus d’importance aux organes sexuels en les représentant de manière exagérée, caractéristique devenue aujourd’hui la marque distinctive des images érotiques japonaises » écrit Andreas Marks.
C’est ce qui frappe d’abord lorsqu’on parcourt le livre, ces représentations démesurées et détaillées des organes génitaux des 2 sexes ! La débauche de scènes de félicité hétéro ou homosexuelle, de moments volés, de voyeurisme aussi. Les estampes sont absolument remplies puisque le fond des scènes érotiques est souvent constitué d’un texte narrant une histoire, qui ne correspond pas forcément à l’image d’ailleurs. Le plaisir semble également partagé dans une sexualité décomplexée. Même les animaux sont de la partie !
L’imagination débordante, l’humour féroce et les fantasmes fertiles font partie intégrante des shunga. Et pas seulement dans la plus célèbre des images érotiques japonaises : Jeunes pins au premier jour du Rat, de 1814, montrant une plongeuse prenant son plaisir avec 2 poulpes !
Un très bel ouvrage facétieux, rempli d’images rares, pour adultes éclairés.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Il avait déjà œuvré aux très belles éditions de Japanese Woodblock Prints 1680-1938 et de Hiroshige & Eisen. Les soixante-neuf stations de la route Kisokaidô, ainsi que Les trente-six vues du Mont Fiji. Lire nos chroniques : https://asiexpo.fr/japanese-woodblock-prints-1680-1938-sort-chez-taschen/ ; https://asiexpo.fr/hiroshige-eisen-soixante-neuf-stations-de-route-kisokaido-parait-chez-taschen/ ethttps://asiexpo.fr/les-36-vues-du-mont-fuji-de-hokusai-sort-dans-une-nouvelle-edition-chez-taschen/
L’intégrale des Shunga d’Hokusai par Andreas Marks, 480 pages, 100 €, ISBN 978-3-8365-9628-2 (trilingue : allemand, anglais, français)

