Lettres de Taipei de Fish Wu paraît aux éditions Rue de l’Échiquier BD.

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À l’été 2012, Fish Wu et sa femme se rendent dans la famille du 1er pour les funérailles de son grand-père. Il a toujours trouvé que ses grands-parents n’allaient pas bien ensemble.

À cette occasion, sa grand-mère Janxian raconte. L’exil d’abord. En effet, en l’an 37 de la Révolution, en 1948 donc, les soldats débarquent dans le bourg de Suhe, petite ville chinoise proche de la mer Jaune, pour redistribuer les terres à ceux qui les labourent non à leur propriétaire, selon la Réforme agraire de 1947.

Le père et l’oncle de Janxian, les frères Shen, dirigent une école. Ils gagnent leur pain en enseignant donc, mais aux yeux des « révolutionnaires » ils ne sont que « vermine ». L’aîné, Erya, en écrivant noir sur blanc ses craintes au sujet des victimes, signe son arrestation immédiate et la confiscation de ses biens. Ses voisins pillent sa maison, brûlent Confucius. Les « lettrés » s’insurgent et les 2 frères sont mis en prison, tout comme maître Wu, le patron du restaurant de nouilles.

À leur sortie, le lendemain, ce dernier les renseigne sur les moyens de se replier à Taïwan. Pour le jeune Erchong, c’est une porte de sortie honorable. Et il s’en va vers l’inconnu. La famille réussira-t-elle à se recomposer ?

C’est tout le propos de Fish Wu qui tient absolument à raconter l’histoire de cette grand-mère qui a été là pour lui durant son enfance et qui va bientôt disparaître avec la mémoire de l’histoire familiale.

C’est donc le roman graphique tragique de chacun des membres de cette famille. Chacun est pris dans l’étau de l’idéologie mal digérée de la Révolution chinoise avec ses slogans placardés partout jusqu’au miracle économique de Xi Jin-ping. Ou plutôt le revers de cette médaille glorieuse des masses laborieuses. L’auteur n’hésite pas, en effet, à dénoncer l’aspect monstrueux que prennent les injonctions révolutionnaires.

Mais ce que l’on retient surtout c’est le dessin de Fish Wu, rarement vu ailleurs. Il va à l’essentiel, les personnages surtout, en les décrivant en profondeur, en créant de véritables modelés. Presque uniquement travaillés au trait, ils émergent de la feuille sans fond, la plupart du temps. Des vignettes pleine page sont de véritables tableaux, de même que les portraits, notamment des membres âgés de la famille, de véritables gravures.

C’est son 1er album traduit en français. Espérons que les 3 autres suivent car son style graphique est vraiment unique.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

Lettres de Taipei, Fish Wu, traduit du chinois par Bertrand Speller, format : 17 X 24 cm, 172 pages, 24,90€, éd. Rue de l’Échiquier BD.

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