Indubitablement, pour l’Occident et la Chine, elle-même, le confucianisme (Confucius : 551-479 avant notre ère) est le mode incontournable de son gouvernement. Toutefois, cette primauté est remise en question avec brio par Romain Graziani dans son essai, Les Lois et les Nombres.
Si le confucianisme imprègne bien toute la société chinoise de haut en bas et de tout temps, elle est aussi structurée par le légisme. C’est une capacité de gouvernance bien plus discrète, mais durablement cogérante de l’état.
Peu connu en Occident, fajia, le légisme (vers le Vè au IIIè siècle avant notre ère) s’appuie sur les nombres et la mesure pour gérer la société de façon la plus pragmatique qui soit. Il naît pendant le chaos de la période des royaumes combattants (vers 475 à 221 avant notre ère). Ce mode de gouvernance regroupe de nombreux intellectuels politiques isolés tant géographiquement que temporellement (sur 4 siècles environ). À la différence du confucianisme, il ne forme donc pas un ensemble cohérent et encore moins une école. Cependant, il est constitué de nombreuses réflexions qui procèdent toutes du même esprit. En cela, il est reconnu comme un mouvement de pensée incontestable.
En effet, dans ce système, les activités humaines, pour chaque strate de la société, doivent être maîtrisées par une quantification des plus rigoureuses. Dans le but d’établir des lois intangibles. Le pragmatisme prime sur toute autre considération, jusqu’à un usage symbolico-magique des nombres, bien que cette pensée exclue tout spiritualisme. Même l’empereur est dépersonnalisé. Il perd sa position d’intermédiaire entre le ciel et la terre (1) pour n’être qu’un instrument de gouvernance comme un autre.
C’est ce que met particulièrement en relief l’ouvrage de Romain Graziani. Tout au long des siècles, même à l’apparition de la république (1912), cette structure va perdurer en Chine, même si elle n’est pas revendiquée ouvertement. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les multiples expressions se rapportant aux nombres : les 4 fléaux ou les 4 vieilleries de Mao Zedong, mais aussi les 3 représentations de Jiang Zemin, etc…
La loi s’entend comme un ensemble de limites très souvent coercitif ou quelques fois offrant une récompense, mais toujours comme un élément de surveillance et de comptage de l’ensemble de l’activité humaine. Même la guerre au travers de Sun Tzu (2) au Vè siècle avant notre ère est adepte de cette évaluation quantitative. « De l’ensemble des paramètres d’une situation on doit pouvoir en déduire l’issue du combat.»
Bien que le régime actuel à Pékin revendique une structuration confucéenne, le légisme n’en est pas moins présent. L’auteur nous en donne une preuve éclatante par le discours de Xi Jinping, le 11 mars 2013 qui peut être résumé par : enrichir l’état, renforcer l’armée, idéologie légiste par excellence.
Nous avons affaire à un ouvrage d’une rare richesse documentaire sans pour autant perdre en lisibilité. De nombreuses anecdotes historiques illustrent parfaitement le propos. Voir pour cela le chronométrage des fonctionnaires.
L’interaction entre les mathématiques, le droit et la poésie taoïste avalise la thèse de cet essai avec subtilité et ironie.
À recommander, donc, pour qui s’intéresse à la complexité de la pensée chinoise au travers de son histoire et à l’impact qu’elle produit encore aujourd’hui sur cette civilisation multiséculaire.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) lire notre chronique : https://asiexpo.fr/tianxia-tout-sous-un-meme-ciel-de-zhao-tingyang-sort-aux-editions-du-cerf/
(2) lire notre chronique : https://asiexpo.fr/lart-de-la-guerre-de-sun-tzu-est-paru-chez-synchronique-editions/
Les Lois et les Nombres essai sur les ressorts de la culture politique chinoise par Romain Graziani, 510 pages, 24€, éd. NRF Gallimard.

