LES FLEURS DU MAL (AKU NO HANA) volume 1 de Shûzô ÔSHIMI

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Collégien pour le moins normal, au physique pour le moins banal et aux notes pour le moins moyennes, Takao Kasuga cultive son originalité dans son jardin secret, avec une passion pour la lecture. Son livre préféré ? Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, recueil de poèmes dont il peine parfois à saisir le sens, mais où il semble reconnaître ses émois juvéniles. Quand il n’a pas le nez plongé dans ses bouquins, Takao n’a d’yeux que pour Nanako Saeki, sa belle et studieuse camarade de classe. Un soir, alors qu’il retourne chercher son livre oublié en classe, Takao y découvre la tenue sport de Nanako… et décide de la subtiliser, mû par une pulsion qu’il regrettera aussitôt. Seulement, il est déjà trop tard : Takao a été pris en flagrant délit par Sawa Nakamura, une demoiselle antipathique qui semble mépriser le monde entier. Pour Takao, c’est le début d’un enfer, car Sawa compte bien le faire chanter, afin de révéler toute la perversité qui sommeille en lui…

Après Dans l’intimité de Marie, publié chez Akata depuis 2015, les éditions Ki-oon s’intéressent à leur tour au mangaka Shuzô Oshimi avec Les Fleurs du Mal, un titre pourtant antérieur au Japon. A l’instar de « Marie », cette œuvre s’intéresse à nouveau au mal-être adolescent, sans passer cette fois par la case du fantastique. Au fil des anecdotes glissées en fin de chapitre et en postface, le mangaka avoue avoir insufflé une grande partie de son vécu dans le titre. Certains personnages sont ainsi directement inspirés de ses anciens camarades de classe, et il est allé jusqu’à retourner dans son ancien collège pour y prendre des photos, en soignant sa catharsis au passage. De même, l’emprunt du titre (et de son iconographie) n’est qu’un hommage à l’ouvrage qui a marqué son adolescence. Derrière le récit, on observe donc une forme de thérapie de l’auteur, qui y témoigne les obscénités commises dans sa jeunesse.

Et c’est bien là que se trouve tout le cœur de l’intrigue. A première vue, l’on pourrait aborder « Les Fleurs du Mal » comme un énième titre traitant du problème du harcèlement scolaire (ou de l’ « ijime », sa variante locale), voire d’un triangle amoureux quelque peu biscornu. Mais en réalité, Shuzô Oshimi veut nous offrir un questionnement sur la perversité résidant en tout un chacun, la part que l’on doit en accepter, et les limites que nous nous fixons. Le choix de Sawa pour la couverture de ce premier volume n’est pas un hasard : elle est la grande instigatrice du déroulement du récit. Takao apparaît essentiellement comme une victime de ses agissements, et où Nanako reste dans le rôle-fonction de la fille parfaite, même si l’on nous promet bien vite quelques bouleversements. Aussi reste-t-on avant tout intrigué par les motivations de Sawa : agit-elle seulement pour son simple plaisir malicieux ? Qu’a-t-elle à gagner en révélant les bas-instincts de Takao, sinon un complice de perversion dans un monde résolument trop écœurant de banalité ?

La série faisant onze volumes, ces questions trouveront sans doute une réponse au moment voulu. Mais pour l’heure, ce premier tome des Fleurs du Mal est suffisamment intriguant pour que l’on se prenne au jeu, en compatissant pour Takao et en y retrouvant une part toute relative de son propre vécu. Seule déception : les parallèles aux poèmes de Baudelaire sont pour l’instant inexistants, les deux œuvres n’étant reliées que par un vague parfum de scandale. Il en faudra un peu plus pour justifier l’emprunt d’un titre aussi porteur de sens.

Alain Brouta

LES FLEURS DU MAL (AKU NO HANA) volume 1 de Shûzô ÔSHIMI (2009)

Suspense / Romance, Ki-oon – Seinen, janvier 2017, 192 pages, livre broché 6.60 euros

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