Notons tout d’abord que le métier de détective n’existe pas en Corée. C’est pour tromper leur ennui de femmes au foyer que 4 amies de Séoul décident de pratiquer l’exercice en amatrices. Miri, la trentaine en pleine dépression est une grande lectrice de romans policiers. C’est elle qui incite ses amies Jihyeon, la soixantaine, propriétaire de la fameuse supérette, Gyeongia et Sohui, la vingtaine à se lancer dans le métier !
Elles passent, en effet, le plus clair de leurs après-midi dans l’arrière boutique de Jihyeon à faire de menus travaux et papoter. Coudre des yeux à des nounours tout en cherchant le meilleur moyen de tuer leur mari ! Deux événements déclencheurs les décident. Leur amie commune vient de se faire tabasser par son mari et se retrouve à l’hôpital. Elles décident de trouver l’argent pour l’aider à divorcer. Et puis un exhibitionniste, boules de mulot, se promène dans leur résidence de plus en plus souvent, terrorisant les femmes. Et la police ne se démène pas pour l’arrêter.
Forte des connaissances apprises chez Conan Doyle et Agatha Christie, Miri impose un dress code de l’enquêtrice : trench coat, foulard et lunettes de soleil. Dans la chaleur suffocante d’un mois de mai caniculaire, leurs maris respectifs ne manquent d’ailleurs pas de remarquer les changements et de s’en moquer. Elle leur trouve aussi un nom : la section des enquêtrices mères au foyer !
Et c’est bientôt deux affaires qui les occupent. En effet, un serial killer qui signe ses horreurs d’un smiley semble refaire surface. Justement… dans la résidence où vivent nos détectives amatrices.
Selon une mécanique très bien huilée, Jeon Gunwoo distille ses indices et ses fausses pistes. Par ses changements de points de vue, le lecteur cerne peu à peu Smile Man. Il tremble de ce qui va arriver à la jeune Sohui…
Mais le plus important n’est pas là. L’auteur chevronné s’amuse beaucoup à décrire ces femmes de tous âges aux prises avec leurs maris machistes et égoïstes. Ils ne voient le plus souvent en elles qu’une mère juste bonne à préparer les repas et à s’occuper des enfants. Et ils préfèrent regarder un match de foot ou s’égayer dans un bar. C’est avec beaucoup d’humour aussi qu’il dresse le portrait d’une société coréenne déliquescente.
C’est contre tous ces travers que la section des enquêtrices mères au foyer se soude. Et c’est par leur sororité et l’intuition de Miri que les 4 amies viennent à bout, non sans risques, des périlleuses missions qu’elles se sont données. Envers et contre tous !
Un mot encore de la délicieuse et succulente traduction de Kyungran Choi et Bessora qui rendent bien l’humour noir qui traverse tout le roman. La métaphore de la salle de bain, planche à découper où Sohui, tel un poisson, attend de se faire éventrer en donne un bon aperçu.
Un excellent moment de lecture que ce polar féministe à souhait !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Les 4 enquêtrices de la supérette Gwangseon de Jeon Gunwoo, 320 pages, 8,70€, collection Folio policier, éd. Gallimard.