L’imaginaire ninja diffusé dans la société japonaise aujourd’hui est très riche, mais une observation plus fine permet de se rendre compte qu’il est très codifié. D’où peuvent bien provenir ces codes ? Se basent-ils sur des faits avérés ou tout n’est-il que pure affabulation ? Au final, quelle est la part de vrai et de faux dans les fictions traitant de ninja ?
Des capacités extraordinaires décryptées
Si toutes les capacités physiques extraordinaires conférées aux ninja dans les productions de fiction qu’il est aujourd’hui donné à voir aux Japonais sont bien évidemment des produits de l’imagination de leurs auteurs, il paraît toutefois intéressant de se demander comment en est-on arrivé à cette image du ninja finalement assez consensuelle dans la société japonaise. Les mythes étant finalement tous plus ou moins similaires, il doit y avoir une origine véritable à la base de ces fictions.
Prenons l’exemple de Kagero, la femme poison, ou de Himuro Genma, l’homme qui cicatrise en quelques secondes, personnages du film Shinobi. Au cours de leurs voyages, les peuples chinois migrants ont rencontré des moines bouddhistes, notamment les bouddhistes ésotériques Shingon. Avec eux, ils ont appris à maîtriser des techniques de médecine avancées qui leur permettaient d’améliorer leur survie. Les ninja formant un peuple très à l’écoute de la nature, et de son environnement, ils ont appris à se soigner avec les plantes mais aussi à infliger des dégâts à leurs ennemis avec ces mêmes plantes. Pour le ninja, les plantes sont en quelque sorte un moyen de renforcer ou d’affaiblir le corps. Elles permettent donc la création de remèdes ou de poisons, mais aussi des élixirs aux vertus diverses : paralysants, soporifiques, hypnotiques, ou même hallucinogènes. La médecine lui assure une meilleure immunité, et les poisons, véritable anti-médecine, une portée offensive décuplée.
Les deux héros du film Shinobi, amoureux mais prisonniers d’une guerre de clans.
Outre le fait qu’en 1614 la question de la succession de Ieyasu est déjà réglée depuis longtemps, le fait qu’il organise un tel événement apparaît en soi comme assez étrange. Depuis qu’il a pris les survivants de Iga sous sa protection en 1581, Tokugawa Ieyasu a développé une relation assez étroite avec les ninja, et donc particulièrement ceux de Iga. Au XVIIe siècle on retrouve ainsi la plupart des ninja de Iga intégré à la police d’Edo. Une partie constituait même la police secrète privée du shogun. Vouloir organiser un tournoi pour les exterminer semble donc peu probable. En revanche, ce comportement est typiquement celui de Nobunaga Oda, une fois en position de shogun. En effet, alors qu’il avait utilisé pendant des années les ninja pour accroître sa domination sur le pays et finalement accéder au titre de shogun, il décida dès lors que ceux-ci représentaient une menace sérieuse pour sa suprématie sur l’archipel. Il a donc mené une campagne de destruction, avec le succès que l’on a vu précédemment. De même, les batailles ayant pour origine des troubles à propos de succession ne sont pas rares dans l’histoire japonaise. Ainsi le casus belli de la terrible guerre civile de Gempei, qui a abouti à la fin de la période Heian, était précisément lié à des disputes sur la succession impériale. Deux clans opposés, deux favoris pour la succession, il n’en a pas fallu plus pour déclencher le début des hostilités.
Au final on assiste à un véritable amalgame de connaissances disposées en vrac, qui donne un ensemble disharmonieux entre faits avérés, inversions et inventions. Les faits présentés dans ce film ne sont pas rigoureusement exacts. Toutefois, si l’on compare précisément les éléments de la fiction avec la véritable histoire japonaise, on constate que l’on retrouve finalement les même choses, mais sans aucun respect pour la précision historique. Confusion des événements et inversion des personnages sont légion, et l’exemple ici étudié à partir du film Shinobi n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Mais ceci n’a finalement que peu d’importance, les événements historiques sont là pour servir la fiction, et non le contraire. C’est au fond assez révélateur de la façon dont les Japonais assimilent leur propre histoire. A la différence de l’histoire française par exemple qui repose sur des recherches historiques approfondies, l’histoire japonaise ancienne est principalement basée sur des mythes et légendes. Il y a très peu de documents permettant de retracer l’histoire du Japon, et bien souvent c’est sur des documents d’origine chinoise qu’il faut s’appuyer. Au final, le Japonais donne l’impression de ne pas réellement avoir assimilé sa propre histoire. Il l’a étudiée grosso modo, et en connaît les grandes lignes. Mais finalement, il ne sait pas réellement ce qu’il en est, dans la mesure où il a étudié son histoire à base de mythes, et que le souci de la précision importe peu, comme en témoigne la foultitude des productions à tendance historique.
Réflexions finales
Suite à cette série d’articles, un certain nombre de conclusions s’imposent. Tout d’abord, historiquement parlant le ninja est un élément essentiel du patrimoine japonais. Il représente une composante essentielle de la vie politique du Japon féodal. Nier son implication dans cette dernière serait une erreur. Ensuite, l’histoire relative aux ninja n’est pas précisément définie. Comme ils étaient des espions assez mystérieux, et que tout ce qui entourait leurs activités était la plupart du temps de l’ordre du confidentiel, il ne reste que très peu de traces écrites pour reformer avec exactitude l’histoire des ninja.
Mais ce flou est aussi ce qui fait le succès du ninja aujourd’hui. Etant donné que l’on ne distingue pas le vrai du faux, on laisse libre cours à un imaginaire particulièrement fertile. Quand on observe l’image diffusée à travers la culture populaire, on se rend compte que les Japonais sont fascinés par ce côté mystérieux, et préfèrent certainement croire en des surhommes, plutôt qu’en des explications rationnelles de leurs techniques. Qui souhaiterait voir un spectacle de magie si on lui expliquait les astuces avant ?
En conclusion, on peut dire que le ninja dans la culture japonaise est une manière de concilier histoire et loisir. Si la partie historique véridique est sans aucun doute secondaire, on ne peut pas négliger son importance. On imagine mal un tel phénomène culturel à partir de héros fictifs. A la différence des Pokemon ou autre création pour enfants, la relation que le Japonais va développer avec le ninja va évoluer au cours de sa vie. Après avoir admiré sa puissance dans son enfance, il pourra ensuite s’intéresser à découvrir la part de vérité derrière ce qu’on lui montrait à la télévision dans sa jeunesse.
Cet imaginaire dont sont friands les Japonais, fascine également à une échelle bien plus large. En effet, le succès du manga Naruto est aujourd’hui planétaire. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France, les tomes successifs de la bande dessinée sont en tête des ventes, dépassant allégrement les productions nationales.
Cet intérêt de l’Occident pour les mystérieux héros japonais va même au-delà. Que dire de la licence américaine des “Tortues ninja”, qui depuis plus de vingt ans passionne les enfants du monde entier à travers leurs exploits en bande dessinée, dessin animé, films et jeux vidéo ? Les adultes ne sont pas en reste. Ainsi, dans son fameux film Kill Bill, Quentin Tarantino a nommé l’un des personnages essentiels à l’intrigue, le meilleur forgeron de sabre au monde, d’après Hattori Hanzo.
Août 2008
Pays : Japon