C’est le moins que l’on puisse dire, l’ouvrage Le Japon ancien : Des chasseurs-cueilleurs à Heian (de -36.000 à l’an mille) bouscule nos certitudes sur ces temps reculés. Des anciens savoirs faisons table rase, nous disent les deux auteurs : Laurent Nespoulos et Pierre François Souyri. En effet, s’appuyant sur cinquante années de recherches archéologiques de pointe dans l’Archipel, ils revisitent de fond en comble cet immense domaine de connaissances.
Au paléolithique supérieur (-38000 et -24000 ans avant notre ère), Homo Sapiens finit par occuper toutes les terres immergées en Extrême-Orient grâce à divers passages. Celui de la Sibérie, rattachée encore pour quelques temps à ces contrées mouvementées, permet des transits à pied sec. Celui de la Corée tout proche nécessite de traverser une mer peu large. Celui encore par le sud est remonté par divers peuplades grâce à la succession d’îles.
C’est surtout l’exploitation de l’obsidienne qui nous permet de comprendre cette implantation. Quelques vestiges de village en anneau, nous instruisent également sur les concentrations humaines. Du fait de l’étendue démesurée de ces terres, plusieurs sphères culturelles coexistent.
La période Jomon (de -16000 au début du 1er millénaire avant notre ère) révèle l’ingéniosité des habitants, désormais, complètement isolés du continent. D’une quête de subsistance, les insulaires basculent vers une vie sédentaire bien plus profitable. Les poteries et les parures deviennent de plus en plus sophistiquées. La période Yayoi (Xe siècle avant notre ère au milieu du IIIe siècle) produit des poteries de belle facture elle aussi, mais plus sobres que les précédentes.
On remarque aussi l’évolution des villages vers une fortification efficace malgré l’utilisation presque exclusive du bois. En outre les expéditions guerrières tendent à se multiplier. Une métallurgie partielle apparaît. Elle finit par produire des cloches et des objets en bronze de premier ordre.
Des contacts avec l’Empire du Milieu s’établissent irrégulièrement. Dans la plaine du Yamato, au centre de l’île de Honshû, un royaume est reconnu par la Chine contre un tribut.
Dans la continuité de la période précédente, celle appelée Kofun (IIIe siècle au début du VIIIe siècle) engendre un culte des morts aux proportions littéralement gigantesques avec les tombes « en trou de serrure » de plusieurs centaines de mètres de longueur.
La sidérurgie, l’irrigation et la maçonnerie sont maîtrisées localement sous l’influence sino-coréenne. En 587, le bouddhisme supplante le shintoïsme, l’animisme insulaire.
La formation du Japon en tant qu’état, avec un Tennô à sa tête, résulte d’un amalgame de plusieurs centres civilisationnels longtemps rétifs à l’esprit des codes. Ce système sophistiqué de gouvernance s’impose à la cour de Heian (794-1185) à l’image de celle de la Chine. Nara devient alors la première capitale durable du Japon. Puis, à partir de 794, Heian-kyô (Kyotô) devient, pour un peu plus de mille ans, « la vraie capitale ».
Voici donc un ouvrage dense à l’iconographie somptueuse. La clarté des croquis et des cartes ne cède en rien à la qualité des photographies. Le choix des superbes illustrations nous donne accès à un répertoire iconographique rarement contemplé jusqu’alors. La pertinence du propos nous immerge dans un monde à la capacité d’adaptation jamais démentie depuis la nuit des temps. Il en résulte une société aristocratique luxueuse. Ceci jusqu’au tournant du XIIIe siècle : avant que les samouraïs revanchards ne mettent le territoire en coupe réglée pour quatre siècles.
Un cadeau à placer en évidence sous le sapin pour un Noël studieux, mais surtout dépaysant.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le Japon ancien : Des chasseurs-cueilleurs à Heian de Laurent Nespoulos et Pierre François Souyri, 544 pages, 49€, collection : Mondes anciens, éd. Belin.