Dans les jours qui suivent le tremblement de terre du Kantô au Japon, le 1er septembre 1923, 2613 Coréens (1) périssent dans la tourmente. Sauf que la cause de leur mort n’est en rien liée à la catastrophe naturelle. En effet, des milices d’autodéfense autoproclamées prirent ces travailleurs immigrés comme boucs émissaires. Très vite, une rumeur se propagea dans Tokyo et ses alentours : les Coréens insoumis (ceux qui refusent l’annexion japonaise de leur pays) perpétraient des attentats et allumaient des incendies. ..
Il faut dire que les populations de Tokyo et de Yokohama furent totalement prises de panique. En effet, à la suite du tremblement de terre, de nombreux bâtiments prirent feu. Les secousses survinrent à midi au moment du repas. Beaucoup de gens dans leur fuite laissèrent allumé leur feu domestique. Si bien que les incendies détruisirent près de la moitié de la capitale et les deux tiers de Yokohama. Plus de deux cent mille personnes périrent écrasées, brûlées ou même noyées.
Dans de telles conditions, nous dit Akira Yoshimura, d’inévitables rumeurs se firent jour. Qui d’un tsunami, qui d’un volcan en irruption, qui des prisonniers en fuite et bien sûr qui des Coréens prêts à commettre les pires atrocités.
Dans ce récit-document, l’auteur nous narre aussi comment deux sismologues rivaux s’affrontent. L’un croit à un séisme majeur menaçant la capitale dans peu de temps alors que l’autre rejette catégoriquement cette idée. L’inconvénient de cette rivalité, c’est que le scientifique rétif est le supérieur hiérarchique l’autre. Malgré les menaces que le second communique à la presse, rien n’est entrepris.
C’est avec une écriture méticuleuse et très documentée qu Akira Yoshimura nous permet d’entrer de plain-pied dans ce flot terrifiant d’événements réels. 38000 personnes se sont, par exemple, retrouvées inexorablement piégées sur le site Hifukushô. De plus, la rivalité entre les scientifiques qui inhibe les bonnes décisions à prendre crée un suspense captivant.
Un récit et une analyse, ô combien humanistes, pour des évènements apocalyptiques. Du grand art !
Notons que paraît simultanément, chez Actes Sud, le recueil de nouvelles du même auteur Un dîner en bateau (2).
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) la Corée fut purement et simplement annexée par le Japon en 1905.
(2) Lire notre chronique https://asiexpo.fr/un-diner-en-bateau-dakira-yoshimura-parait-chez-actes-sud/
Le Grand Tremblement de terre du Kantô, Akira Yoshimura, roman traduit du japonais par Sophie Refle, 288 p., 8€, Babel n° 1694.