Hong-Kong 1978. L’actrice sud-coréenne en vue Choi Eun-hee a disparu. Son ex-mari, le metteur en scène et producteur Shin Sang-ok part à sa recherche. Trahi par son chauffeur, il est enlevé à son tour et emmené au Nord du 38è parallèle.
Durant plusieurs années, il est « rééduqué » à grandes séances d’autocritique et de mauvais films nord-coréens. Après une tentative d’évasion, il subit même un simulacre d’exécution !
Et puis c’est la rencontre, dans une réception très civile, avec le « cher dirigeant » Kim Jong-il et Choi Eun-hee. Le dictateur est féru de cinéma. Il a bien conscience de l’indigence du nord-coréen. Aussi fait-il de Shin son conseiller national en la matière et lui demande « du neuf ». Le couple se retrouve donc en résidence surveillée. Il travaille d’arrache-pied pour créer de nouveaux films et les époux deviennent les maîtres du cinéma de Pyongyang. « C’était un rêve étrange qui succédait à un cauchemar confus » résume bien Shin Sang-ok.
Mais pour l’heure le couple règne en majesté sur ce cinéma qui avait grandement besoin d’un dépoussiérage. 7 films en 3 ans furent tous des succès et l’occasion pour Kim Jun-il de mettre en place cet « écran de fumée », cette « réalité alternative » qui « achevait de convaincre les habitants de leur absolu et définitif bonheur social ». Succès aussi dans les pays « amis », les « nations-cachots du bloc de l’Est ».
En cinéphile accompli, le dictateur connaît tous les films et possède la plus grosse vidéothèque privée. Il adore les kaiju eiga, ces films de monstre japonais. Ainsi il remet au goût du jour une vielle légende coréenne où il est question de Pulgasari, un monstre de métal. Ce sera le passeport du couple pour une évasion spectaculaire !
Le scénario de Fabien Tillon est digne d’un film d’aventures pour cette histoire vraie à quelques détails dramatiques près, comme bien d’autres du même genre. En effet, Pyongyang aurait à son actif « plus de 100 000 personnes qui auraient été enlevées dans le monde entier » depuis les années 60 comme le souligne Julien Sévéon dans un entretien à la fin du livre.
Le dessin de Fréwé va à l’essentiel, sans surcharge inutile. Chaque épisode, chaque ambiance sont bien marqués par une couleur de fond : le rouge pour la triade, le violet rouge pour le monstre, le bleu froid pour la tentative d’évasion. Mais ce sont surtout tous les clins d’yeux au cinéma qui nous régalent. À Hong-Kong, Shin rend visite à son ami, le jeune cinéaste Tsui Hark sur son tournage de L’enfer des armes, puissante critique de l’étouffante cité-état. Sur un registre drôle voire grotesque, 3 planches sont consacrées à une scène d’action dans un film fictif de Bruce Li, énième successeur du vrai Bruce Lee mort trop jeune.
L’album fait bien la balance entre informations et divertissement.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le dictateur et le dragon de mousse, scénario : Fabien Tillon, Dessins : Fréwé, 144 pages, 22€, éd. La Boîte à Bulles.