Après le succès mondial du Sympathisant (1), qui lui valut Le prix Pulitzer et celui du Meilleur livre étranger, Viet Thanh Nguyen était très attendu. Avec le Dévoué, il reprend son personnage Vo Danh et le lâche dans le Paris de 1981.
Ayant connu une vie dichotomique d’agent double, un camp de rééducation du Nord Vietnam, il n’est maintenant qu’un simple réfugié. Le prologue est, sur ce thème, la partie la plus percutante du livre. À la fois terrible et poétique.
Sa « tante » l’accueille avec son ami et frère de sang Bon. Le Boss, un restaurateur mafieux, les prend sous son aile. Ils deviennent respectivement dealer et homme de main. Tout semble florissant pour notre héros. Mais les guerres de territoires avec les dealers algériens assombrissent le tableau. De plus, le troisième frère de sang, tortionnaire des deux premiers dans le camp de rééducation où ils se sont tous rencontrés pourrait bien se trouver à Paris…
L’histoire, en réalité, importe assez peu, c’est surtout l’Histoire qui intéresse Viet Thanh Nguyen. Le plus important est la réflexion qu’il déploie sur de nombreux sujets tels le statut du réfugié, celui du colonisateur et celui du colonisé. En cela, Le Dévoué est un livre politique. À l’image de Vo Danh « le bâtard » en vietnamien), le roman interroge sur l’identité, l’appartenance. Mais toujours sur un mode plein de drôlerie, avec un humour féroce et une inventivité débridée.
Lorsqu’il s’effraie d’être devenu non pas un dealer mais un capitaliste ! « Le dealer n’est qu’un petit délinquant qui cible des individus […] Le capitaliste est un délinquant légal qui cible des milliers, voire des millions de personnes, sans ressentir la moindre honte de son pillage ».
C’est aussi le regard étranger que porte le narrateur, notre dévoué, sur Paris, les Français en général et sur plusieurs microcosmes en particulier. Celui des intellectuels de gauche que fréquente sa « tante » et grâce auxquels il monte un lucratif trafic de cannabis.
En Candide des temps modernes, il découvre aussi les objets, reflets des années 80 : les cassettes VHS, le walkman Sony. Et pour passer inaperçu, il se déguise en touriste japonais « appareil photo autour du cou et sac à dos contre [s]on torse ». Il s’émerveille de déguster un pain qu’on appelle « bâtard » !
Son regard est aussi aiguisé et truculent sur les truands asiatiques qui se prennent pour des « entrepreneurs ». Le Boss se fait philosophe dans sa tour du 13ème arrondissement d’où il voit la Tour Eiffel… de loin !
Un roman fluide comme un bon mot qui décentre notre regard et ainsi nous donne à réfléchir sur notre Histoire.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) lire notre chronique : https://asiexpo.fr/sympathisant-de-viet-thanh-nguyen-parait-chez-belfond/
Le Dévoué, traduit de l’anglais (États-Unis) par Clément Baude, de Viet Thanh Nguyen, 416 P., 23€, éd. Belfond. En librairie le 21 octobre.