12 août 2022, Chautauqua, à l’ouest de New-York, le romancier britannique d’origine indienne participe à une conférence sur les enjeux de la sécurité des écrivains. Tout à coup, un individu se lève et, pendant 27 secondes, porte 12 coups de couteau dans le cou, la main gauche, l’abdomen, l’œil droit de l’homme de 75 ans. « Ses 27 secondes de gloire s’étaient écoulées. C’était à nouveau personne ».
Le Couteau raconte donc, par le menu, car Salman Rushdie a une mémoire phénoménale, la tentative d’assassinat dont il a miraculeusement réchappé, plus de 30 ans après la fatwa prononcée contre lui par l’ayatollah Khomeini à la suite de la publication de son roman Les versets sataniques, en 1989. C’est un récit cathartique, sans concession. « Je devais l’écrire pour passer à autre chose » explique-t-il en interview. Il est d’ailleurs, actuellement, à Paris, où il a reçu hier, 8 mai, le prix Constantinople pour son dernier opus.
Au-delà du récit de ce qu’il faut bien appeler un attentat islamiste et la reconstruction minutieuse de sa victime, on pense bien sûr à Philippe Lançon et Le lambeau (1), l’écrivain développe une réflexion à la fois intime et universelle sur la vie, l’amour, la culture comme antidotes à la haine, la violence et l’ignorance. « C’est ainsi que fonctionne ma pensée, par un jeu de libres associations ». Et Rushdie de nous régaler, comme dans une conversation à bâtons rompus, de références littéraires et anecdotes autobiographiques avec, entre autres de ses amis, les grands romanciers Martin Amis ou Paul Auster ( tous 2 décédés, d’ailleurs, aujourd’hui).
Mais le plus précieux encore dans ce livre lumineux de la civilisation contre la barbarie, c’est l’ode à la création artistique, qu’il y déploie, comme un espace de liberté absolue. À l’image « mon épouse Eliza, la romancière, poète et photographe Rachel, Eliza Griffiths » comme il aime à la présenter. Elle condense, à ses yeux (bien qu’il n’en ait plus qu’un !), tout le bonheur de sa « seconde chance ».
La lecture qu’en fait Clément Bresson rend bien compte de la limpidité de son style. Longue vie à Salman !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Écoutez Lire Le lambeau de Philippe Lançon (rescapé du 7 janvier 2015) lu par l’excellent Denis Podalydès. On peut d’ailleurs découvrir les titres et des extraits audio de cette collection sur le site www. Gallimard.fr , rubrique « collections » Écoutez lire.
Le Couteau de Salman Rushdie, lu par Clément Bresson, environ 7h, collection Écoutez Lire, éd. Gallimard, 21,90 €.