Après la sortie en salle de Fleur pâle en mai dernier, en version restaurée 4K, Carlotta récidive pour notre plus grand plaisir avec la sortie d’un coffret Masahiro Shinoda contenant cet opus de 1964 et Gonza, le lancier datant de 1986.
À Tokyo, Muraki sort de prison pour un meurtre commis 3 ans plus tôt. Il réintègre alors son clan de yakuzas. Dans son cercle de jeux habituel, il rencontre Saeko, une jeune femme totalement libérée qui s’enivre du hanafuda, le « jeu des fleurs » en misant des sommes toujours plus élevées. C’est donc elle la Fleur pâle du titre du 1er opus.
Plus de 20 ans plus tard, il se lance dans le film de genre avec Gonza, le lancier. Sous la « Pax Tokugawa », nombre de samouraïs doivent se recycler. Gonza entre alors en compétition avec Bannojo, un membre de son clan. Chacun désirant officier à la cérémonie shogunale du thé qui célébrera la naissance de l’héritier de leur seigneur. Piégé dans le code d’honneur des samouraïs, notre lancier réussira-t-il à échapper à son sort ?
Masahiro Shinoda fait partie des cinéastes de la Nouvelle Vague japonaise dont on a surtout retenu Nagisa Oshima. Cependant, l’exaltation et la nervosité de Shinoda le rendent emblématique du mouvement des années 60. Dans Fleur pâle par exemple, il joue frénétiquement avec sa bande son, bien aidé par la musique de Toru Takemitsu.
La scène inaugurale de ce film reflète à merveille l’audace du cinéaste. Cherchant à reprendre la structure cérémonielle chère aux yakuzas, elle plonge le spectateur dans un cercle de « jeu des fleurs », entre ombres et lumières, rythmé par le clapotis des fameuses petites cartes de bois que le réalisateur n’a pas hésité à remplacer à nos oreilles par un jeu de claquettes !
Dans cet univers interlope, la frêle et jeune silhouette de l’actrice Maroko Kaga, épouse d’Ozu à la ville, est aussi magnifiquement mise en valeur par les jeux de cadrages subtils du réalisateur et les contrastes résolument audacieux. La restauration 4K donne une ample profondeur à cette femme fatale qui n’en sait pas moins où elle va, fendant la nuit à vive allure dans sa voiture de sport.
Le film peut se voir comme une critique de la jeunesse d’après guerre. Muraki ne s’y retrouve plus. Ses valeurs ont disparu. C’est le choc des cultures. Et même s’il est fasciné par Saeko, il ne couche pas avec elle. Il est désabusé. Que peuvent-ils alors vivre ensemble ?
Au contraire, dans Gonza, le lancier, c’est la couleur qui magnifie la pompe seigneuriale tout autant que les costumes chatoyants de chaque personnage. C’est un défilé grandiose de kimonos, obi et autres parures vestimentaires jusqu’au cheval d’apparat diapré de jaune et d’orange flamboyants.
Ce qui relie ces deux films de genres très différents c’est l’extrême qualité des cadrages, de la photographie et de la mise en scène. Œuvres magistrales !
Notons que dans le même temps et chez le même éditeur de Blu-Ray disc, paraît Visage écrit du Suisse Daniel Schmid. Un saisissant portrait de l’« onnagata » contemporain Tamasaburo Bando, véritable “trésor national vivant”. Et ce grand acteur de kabuki joue aussi dans L’étang du démon, autre film célèbre de Masahiro Shinoda. La boucle est bouclée !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le coffret Masahiro Shinoda, 30€, éd. et distr. Carlotta.
Visage écrit, Daniel Schmid, 1995, 93mn, 15€, éd. et distr. Carlotta.