La Forteresse des âmes mortes de Sandrine Chenivesse paraît chez Actes Sud.

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Partie en Chine pour ses études d’ethnologie, l’autrice, Sandrine Chenivesse va devoir se confronter à son sujet de façon surprenante. En 1990, elle a 25 ans et elle se rend dans une petite bourgade sise au pied du Mont Fengdu sur les bords du Yangzi. Ce sont ses quatre voyages sur place qu’elle nous décrit au travers de son édifiant ouvrage, La Forteresse des âmes mortes, voyage initiatique dans les montagnes taoïstes. Le sous-titre est évocateur.

Le choix de cet endroit découle d’une multitude de paramètres qui, petit à petit, vont la précipiter dans l’entre-deux-mondes jusqu’à s’immerger dans les rites taoïstes et chamaniques (1) de la mort.

Aussitôt arrivée sur place, elle est confrontée au mutisme obtus de la population. C’est tout juste si elle parvient à arracher au réceptionniste de son lieu de résidence, un individu de son âge, qu’un chamane vit dans la montagne. Quelques jours plus tard le jeune homme meurt par accident. Elle tient à assister à ses funérailles. Mais au crématorium, elle perd connaissance durant plusieurs heures. Jamais, elle ne connaîtra ce qui s’est passé entre les deux événements, « le noir sidéral » selon l’autrice.

Elle apprendra plus tard qu’elle est l’épousée d’un mal-mort, le fameux réceptionniste. L’ethnologue est devenue la proie de l’âme errante de ce mal-mort, étant poreuse au monde invisible. Son don médiumnique la met en danger. Heureusement, sa ténacité et sa perspicacité vont lui permettre de découvrir un exorciste, non loin de Fengdu. À la date anniversaire du sortilège, il la délivre de son emprise.

Cependant, une autre morte l’habite : sa mère. Car avant de mourir, les deux femmes se sont quittées sur un malentendu. Il lui reste donc encore à apaiser sa génitrice. parviendront-elles à se retrouver ?

En lisant l’ouvrage de Sandrine Chenivesse, on ne peut qu’être fasciné par la pertinence de son propos tout autant que par son expérience hors du commun.

D’une écriture précise et délicate, l’autrice, en plus de nous faire effleurer le monde des morts, nous permet de mieux appréhender celui du taoïsme. Religion aussi ancienne (plus de deux mille ans) qu’absconse pour nous occidentaux et donc incompréhensible. Cependant, à l’instar de son maître et professeur : Schipper, elle nous permet de comprendre que le temple est la montagne qui nous relie au ciel et au monde des immortels. Que ce même temple n’a de religieux que l’apparence. En fait, il est un lieu de vie commun à tous les habitants, divins et humains. On y pratique toutes les activités du quotidien :  « c’est un espace de rencontre, de discussion et de réunion… » de toutes sortes.

Avec subtilité, elle nous oriente vers ce qu’est le yin yang, même si personne ne peut le définir. Elle n’oublie pas, également, d’approfondir quelques notions du Yi Jing (2). Et elle nous gratifie même d’une explication sur la mort du point de vue taoïste.

L’autrice a agrémenté son ouvrage de lavis à l’encre d’une facture naïve. Ils lui donnent une respiration bien venue. D’autres documents iconographiques complètent son propos comme des photographies de différents maîtres taoïstes ou ses propres relevés topographiques de la Forteresse des âmes mortes : la montagne surplombant Fengdu.

Une formidable pérégrination taoïste qui nous transporte bien au-delà de l’aspect physique des évènements.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

(1) Lire notre chronique : https://asiexpo.fr/voyager-dans-linvisible-techniques-chamaniques-de-limagination-de-charles-stepanoff/

(2) Lire notre chronique : https://asiexpo.fr/yi-jing-le-classique-des-mutations-presentation-traduction-commentaires-de-pierre-faure/

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