L’ivresse de la différence : voyage au Japon

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Prologue

Sendai, Japon, octobre 2004.
La nuit est déjà bien avancée lorsque nous quittons l’izakaya, l’équivalent du pub anglais, où tout le labo, étudiants comme professeurs, a passé la soirée. Beaucoup vont se joindre à la nijikai, la deuxième partie de soirée, pour prolonger le plaisir de l’ivresse et faire durer la joie d’être ensemble, de parler, de rire et de s’extérioriser. Certains sont déjà passablement éméchés et n’hésitent plus à se livrer en pleine rue à toutes les facéties qui leur passent par la tête !


Pour en revenir à la question de la convergence culturelle, il me paraît clair que l’ethnocentrisme occidental est en forte régression en ce début de XXIe siècle. De la génération de mes grands-parents à la mienne, le regard porté sur l’ailleurs et le lointain a énormément changé. A écouter ma grand-mère, issue d’un milieu modeste et n’ayant jamais franchi les frontières françaises, tout ce qui se situe au-delà de l’Europe et de l’Amérique du Nord se résume à un ensemble de barbares, de sauvages ou au mieux d’êtres aux comportements généralement incompréhensibles, habitants de nations sous-développées présentant peu d’attrait. Héritage de la vision coloniale du monde qui tend à disparaître aujourd’hui avec le développement de puissances non occidentales (au premier rang desquels le Japon, puis la Chine, l’Inde, le Brésil, …) et la quantité d’informations disponibles aujourd’hui, plus objectives que celles de l’époque coloniale. Mais je crois qu’il existe un autre facteur qui a fortement influencé notre rapport à l’ailleurs et à la différence, en particulier chez les jeunes : l’Occident est entré ces vingt dernières années dans une crise morale et identitaire, induite notamment par un individualisme forcené. Beaucoup de jeunes, privés de repères et de valeurs vont chercher au loin ce qu’ils ne trouvent plus chez eux. Je suis aujourd’hui convaincu qu’il s’agit d’un des facteurs principaux, alors inconscient, qui m’a poussé à tout mettre en œuvre pour partir vivre au Japon il y a cinq ans de cela.
Le succès des arts martiaux (judo, aikido, capoeira, etc.), le développement du bouddhisme en Occident, du yoga, l’intérêt pour le cinéma et la culture asiatique (Asiexpo, nous voilà !), l’énorme succès des mangas et de l’animation japonaise sont autant d’illustrations de ce phénomène. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la plupart de ces apports ont un côté communautaire et moralement structurant. Le manga est à ce titre un exemple particulièrement intéressant : il offre un concentré de culture japonaise, pas toujours très représentatif de la réalité du Japon, mais imprégné de sa structure sociale, sa morale et sa conception des rapports humains bien particulières auxquelles un Français ne peut à priori s’identifier mais dans lesquelles il aura volontiers tendance à se projeter pour substituer à un système de valeurs défaillant un système parallèle, fictionnel et beaucoup plus attrayant. Il est d’ailleurs amusant de noter que le fan de mangas français, l’otaku (terme d’ailleurs beaucoup plus péjoratif en japonais qu’en français), bien que parfois un peu assommant, est en général beaucoup plus gentil que la moyenne, à croire qu’une partie de la culture japonaise peut réellement pénétrer l’individu à travers les mangas…
La crise de l’ethnocentrisme et la fin du règne de l’Occident n’ont malheureusement pas pour seule conséquence une plus grande ouverture sur le monde et certains choisissent au contraire de se replier sur eux-mêmes de s’enfermer dans les extrémismes politiques ou religieux. Mais ce serait là le sujet d’une toute autre discussion.

Pour conclure sur ce sujet, je crois que le voyage a plus que jamais aujourd’hui beaucoup à offrir pour celui qui est prêt à accueillir l’autre. Le voyage n’est certes plus une exploration ou une grande aventure comme il pouvait encore l’être il y a un siècle. Mais ce qu’il a perdu en grandeur (est-ce vraiment une perte d’ailleurs ?), il l’a largement regagné en intimité et en profondeur s’il évite les pièges du tourisme mécanique. Reste à savoir comment aborder cette différence qui nous tend les bras.

2. Le voyageur et son rapport au monde

A suivre…

Lyon, juillet 2007

Pays : Japon

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