Pour son 7e film, le premier a connaître une sortie française, cet amoureux de Truffaut livre une vision singulière et peu connue de l’après 11 septembre au Japon vue par une femme d’à côté, à la fois proche et si lointaine.
Pourriez-vous brièvement résumer les 42 ans qui ont précédé votre première réalisation cinématographique ?
J’ai fait beaucoup de musique, notamment en collaboration avec Wataru TAKADA. Nous avons même enregistré un disque ensemble. J’ai été très attiré par l’écriture de scénario et j’ai visionné énormément de films japonais pour trouver un réalisateur avec lequel j’aurais envie de travailler. Comme aucun ne me plaisait, j’ai décidé d’aller à la rencontre de mon réalisateur – tous pays confondus – préféré, François Truffaut, pour devenir son assistant.
En arrivant en France, j’ai eu la désagréable surprise d’apprendre qu’il venait de prendre des vacances prolongées aux Etats-Unis, suite au tournage de “La Femme d’à côté”.
Je suis tout de même resté un an à Paris. Etant très souvent malade, je ne me suis quasi exclusivement nourri que de jus de pomme pour survivre.
Pourquoi avoir changé radicalement de genre avec Bashing ?
J’ai commencé à réaliser des films il y a dix ans, à l’âge de 42 ans.
J’ai fait six films pour tenter d’exprimer mon propre univers. Je n’avais jamais véritablement eu l’envie de réaliser un film engagé. Après les attentats du 11 septembre à New York, j’avais le sentiment que quelque chose avait profondément changé. Cela m’a incité à redéfinir profondément mes critères dans ma manière de réaliser. Je me suis donc forcé d’aller à l’encontre de ce que j’avais envie – et l’habitude – de faire. Les critiques me reprochaient que mes précédents films étaient déjà dépassés, et, prédisaient la fin de ma carrière. J’ai donc naturellement choisi d’aller à l’encontre de mes propres habitudes – mais à ma manière.
Pourquoi vous être emparé de ce sujet en particulier ?
Parce que personne d’autre n’avait envie de le faire.
Habituellement, j’ai toujours une idée d’avance sur ce que je vais tourner prochainement. Avant de réaliser “Bashing”, je n’avais pas de nouvelle idée, ni d’envie particulière. Comme personne d’autre ne semblait s’intéresser au sujet, je me le suis approprié.
En observant de plus près l’Histoire du Cinéma et la variété des genres dans lequel d’autres cinéastes ont exercé : Renoir, Chaplin, Kurosawa, d’aucun je n’aimerais me prétendre semblable.
Comment cette réaction raciste est-elle possible entre japonais ?
Au moment des prises d’otage des volontaires japonais en Irak, le Premier Ministre Japonais a fortement condamné leur présence sur place. Précisant qu’il ne fallait pas s’interposer à l’action militaire et que s’ils étaient fait prisonniers par les Irakiens, c’était de leur propre faute. Après de tels propos, personne n’osait le contredire. Au contraire, la majorité de la population japonaise s’est rangée de son côté et a rejeté tous les volontaires rentrant au pays. Leur réaction a été très violente, que ce soit au quotidien ou par le biais des sites internet. Les gens disaient que les otages auraient mieux fait de se prendre une balle dans la tête, plutôt que de revenir au pays.
Dans un tel climat, comment a été reçue votre initiative de réaliser un tel film ?
Au moment d’annoncer que j’allais réaliser un tel film, j’ai été moi-même pris pour cible par des particuliers, mais également par des proches. Des membres de ma famille me disaient, que j’allais me faire attaquer par des partis politiques extrêmes ; peut-être même que je serais tué. Après la projection du film à Cannes, je me suis demandé si je n’allais pas m’expatrier pour quelque temps, pour mettre ma femme et mon enfant en sécurité.
Le Japon n’a à présent plus qu’une couleur, une manière de penser – et je ne suis pas certain d’aimer la voie que nous empruntons au présent.
Votre film est réalisé de manière très réaliste
La situation cinématographique actuelle au Japon est extrêmement difficile. L’Etat ne débloque aucune subvention afin de soutenir les petits projets. Je continue donc de tourner mes films en toute indépendance en les finançant de ma propre poche. L’essentiel des dépenses étant le défraiement de l’équipe et les frais logistiques, je suis donc obligé de tourner extrêmement vite. “Bashing” par exemple, n’a été tourné qu’en 5 jours et demi.
Etes-vous satisfait du résultat final ?
Je pense que le cinéma se doit d’être bancal. Cela fait toute la différence entre un film indépendant et un blockbuster américain dans lequel on investit beaucoup d’argent. Les spectateurs pardonnent des petites erreurs ou imperfections au sein d’une œuvre indépendante, alors que dans un gros projet, une erreur peut couler toute l’entreprise et représente un énorme risque financier pour ses producteurs. J’aime bien réaliser de petites imperfections et laisser des zones d’ombre, libre au spectateur d’imaginer tout le reste.
Qu’en est-il de votre projet de tournage à Lyon ?
Cela doit effectivement faire près de 20 ans, que j’ai dans l’idée de réaliser un film dans la belle ville de Lyon… Peut-être que le moment viendra prochainement ?
Février 2006
Propos recueillis dans le cadre du Festival Black Movie de Genève.
Photo publiée avec l’aimable autorisation de Philippe Quaisse.
Pays : Japon