La dédicace de la nouvelle édition du recueil que François Cheng avait publié l’an dernier dit tout de sa conception de la poésie. Sa première version était dédiée « à ceux qui habitent la poésie » dont il faisait partie autrefois. Tandis que la nouvelle est dédiée « à ceux qui sont habités par la poésie », ce qui est devenu son cas, dit-il. « Habiter la poésie, c’est capter un chant né de soi, et tenter de le rapprocher de la grande tradition de la poésie. »
Ainsi, dans son dernier recueil, c’est la forme du quatrain qu’il a choisie pour dire son optimisme, sa foi en l’être humain et en une force supérieure issue de son taoïsme. En effet, il part toujours de détails concrets : « la guêpe sur la goutte de miel », et est attentif à la nature : « l’humus, la voûte céleste, la caille en sa chute ou le cerf en son bond ». C’est de cette observation qu’il tire une réflexion sur le « tout », une méditation même, en élargissant sa vision. En effet, le tao propose une vision globale, unitaire et organique de l’univers vivant. Il sous-tend toute la poésie de François Cheng, elle qui lui permet depuis toujours d’atteindre l’essence des choses. « Qui accueille s’enrichit, qui exclut s’appauvrit. / Qui élève s’élève, qui abaisse s’abaisse. / Qui oublie se délie, qui se souvient advient. / Qui vit de mort périt, qui vit de vie sur-vit. »
De plus, tous ces poèmes sont à dire, plus qu’à lire. Ils intègrent souvent un « tu » ou un « nous » qui nous implique au premier chef. Les thèmes liés à la nature sont profondément inspirés par le spiritualisme chinois tandis que la forme du quatrain est typiquement occidentale. Et c’est dans la symbiose de ces deux conceptions que le poète plonge dans la profondeur de l’être en résonance avec les autres et avec la transcendance. « Toute la neige à toi seul, / Prunus perçant la blancheur ; / Toute la terre en toi seul, / Jet de sang jailli du cœur. »
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Enfin le royaume Quatrains, François Cheng, Poésie/Gallimard, 224 pages, 7,30€, février 2019.