Inconnu il y a quelques années, Ryusuke Hamaguchi a une actualité toujours plus dense depuis Senses qui l’a fait connaître en France (1). Son prix du scénario pour Drive my Car (2) à Cannes en 2021 et son Oscar à Hollywood en 2022 le prouvent. Il sort en DVD et Blu-ray en même temps que son nouvel opus crève les écrans de cinéma avec un titre qui n’aurait pas déplu à Eric Rohmer… Contes du hasard et autres fantaisies. De plus, les Amants sacrifiés, dont il a écrit le scénario pour son mentor Kiyoshi Kurosawa (3), sont encore à l’affiche. Qui dit mieux ?
Ryusuke Hamaguchi nous a habitués aux films hors normes, Senses durait plus de 5 heures. Drive my Car 3. Cela n’a pas d’importance. Il prend le temps d’installer son personnage dans son quotidien, plutôt cosy et sexy. Yusuke Kafuku est en effet metteur en scène et comédien. Il vit avec sa femme, scénariste de séries télé. Elle puise son inspiration dans sa sexualité. Après l’amour, elle raconte ses inventions à son mari qui a l’habitude de les noter. Elle est prolixe, sûre d’elle, maîtresse du récit avec son histoire de lamproie, ni poisson , ni anguille. Bien que leur amour semble inébranlable, elle trompe néanmoins son mari. Il le voit. Le doute l’envahit. Mais un jour, elle meurt.
Deux ans plus tard, Yusuke accepte de se rendre à Hiroshima dans le cadre d’un festival pour y monter Oncle Vania de Tchékov. Les organisateurs lui imposent alors un chauffeur pour ses déplacements dans son antique Saab rouge. Ou plutôt une chauffeuse, jeune fille modeste et discrète à la casquette vissée sur la tête. Les multiples courses sont alors l’occasion de mieux se connaître puis de se confier. Le tout au rythme des répliques d’Oncle Vania enregistrées sur cassette par la femme de Yusuke.
À travers la métaphore de la route le film déploie les trajectoires multiples de personnages traversées par la mort, l’accident, la tristesse ou le mensonge comme ce jeune comédien qui s’avère un Don Juan invétéré. Tous ont un rapport très fort à la parole : qu’ils racontent des histoires, répètent des scènes de théâtre ou se confient intimement. Elle est le moyen aussi de dépasser la souffrance du deuil, de la perte ou des blessures du passé. Jusqu’à cette actrice mystérieuse qui s’exprime en langue des signes et intègre la troupe qui répète Oncle Vania.
Ou comment l’art aide à supporter le poids de l’existence. Intense et sublime !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) Le film est de 2015, mais il n’est sorti à Lyon qu’en 2018. Lire notre chronique https://asiexpo.fr/senses-de-ryusuke-hamaguchi-sort-en-salle/
(2) adapté d’une nouvelle de Haruki Murakami in Des hommes sans femmes paru chez Belfond en 2017.
(3) Il a été son professeur à l’université et lui « a appris l’essentiel » dit-il de lui.
Drive my Car de Ryusuke Hamaguchi, DVD et Blu-ray chez Diaphana.