Wang Changchi est né pauvre et à la campagne. Malgré des capacités intellectuelles indéniables, il se voit recalé au concours d’entrée à l’université. Un autre prétendant lui a volé sa place grâce à ses relations et à l’argent. Très vite, ce dernier devient une l’obsession pour le jeune homme. Il n’a de cesse d’en gagner, mais rien n’y fait.
La légalité dans laquelle il s’obstine à rester ne concourt pas à le sauver, bien au contraire ! Sans relation dans la sous-préfecture, il se retrouve maçon traité à peine mieux que du bétail. Il est parqué avec ses collègues dans des dortoirs collectifs. Ainsi ils restent sous la coupe de leurs exploiteurs. D’ailleurs, ceux-ci oublient souvent de les payer ou disparaissent avant.
Plus tard, Installé en ville avec sa femme enceinte, Xiaowen, Wang Changchi fait tout pour leur assurer une vie meilleure. Il va même en prison à la place d’un riche. Il s’escrime au travail sans relâche. Son épouse se voit contrainte de faire des « massages de pieds » le soir, contre son gré. Toutefois, comment peut-il s’opposer à la fatalité de leur vie ? Il est même menacé par la police pour avoir soi-disant commis un crime. Sans appui, il est une proie facile pour des agents corrompus. Inexorablement, il perd pied.
Son dernier espoir réside dans une demande de compensation financière après une grave chute d’un échafaudage sur un chantier. Avec la complicité du tribunal, son employeur fait traîner son indemnisation. Jusqu’à le flouer sur sa paternité et ainsi éviter de l’indemniser.
Destin Trafiqué est un excellent roman mené à un train d’enfer avec un style réaliste et efficace. À travers de multiples péripéties, le protagoniste s’oppose obstinément à la fatalité de sa vie, tel un Sisyphe chinois. D’autant qu’à la fin du récit Wang Changchi comprend quelle est sa place réelle dans cette perfide société. La caractérisation forte de nombreux personnages secondaires donne au tableau une force immersive.
Le système chinois est impitoyable pour les humbles. Scène après scène, le lecteur comprend que les règles sociales sont faussées comme le répète Wang Huai, le père de Wang Changchi : « La justice n’existe pas. Tout se joue le jour de notre naissance. On n’a pas franchi la ligne de départ qu’on a déjà perdu. » C’est ce que le protagoniste ne veut pas admettre. À tous les stades de leur vie, les simples citoyens et plus encore les paysans sont toujours perdants.
À lire, impérativement, pour comprendre les méandres dans lesquels se débattent les citoyens chinois.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Destin trafiqué, Dong Xi, roman traduit du chinois par Shao Baoqing et Elsa Shao, 368 pages, 23.50€, éd. Actes Sud. En librairie le 7 septembre.