Les éditions Belfond poursuivent leur programme de belles rééditions des œuvres d’Harumi Murakami, avec ce roman qui date de 1993. Il signa le début d’une longue association entre l’auteur japonais et l’éditeur français . L’an dernier déjà, à la même époque, étaient réédités Kafka sur le rivage et La Ballade de l’Impossible. Et paraissait aussi T – Ma vie en t-shirts. Une autobiographie déguisée qui permettait à son auteur d’aborder, de biais, ses thèmes et passions. Original et drôle !
Dans ce 1er roman publié en France, on trouve déjà les thèmes chers à Murakami. Le narrateur, Hajime, remonte à ses 12 ans, lorsqu’il a fait la connaissance de Shimamoto-san, une voisine du même âge allant à la même école que lui, dans une petite ville bien tranquille. Tous 2 « enfant unique », ils s’entendaient à merveille et partageaient le même goût pour la littérature et la musique. Cette musique qu’ils écoutaient pendant des heures dans le salon des parents de Shimamoto-san, sur une chaîne stéréo sophistiquée pour l’époque. Du classique : « C’était une musique d’un autre monde et Shimamoto-san venait elle aussi d’un autre monde »… Mais aussi le fameux South of the Border de Nat King Cole qui donne son titre au roman.
Plus de 20 ans passent sans que les 2 jeunes adolescents se revoient. Et pourtant, Hajime ne cesse de penser à la jeune amie boiteuse (un reste de poliomyélite) qui lui a donné ses premiers émois et avec qui il se trouvait dans une entente parfaite.
Après des années de solitude acharnée, de manque, il rencontre sa future épouse et tout lui réussit grâce à un beau-père qui lui met le pied à l’étrier. Il ouvre un puis deux clubs de jazz assez chics, fait de bons investissements et mène une vie cossue dans le quartier d’Aoyama, à Tokyo. Il a même 2 adorables fillettes et sa femme Izumi est charmante même si elle n’entend pas grand-chose à ses passions.
Et puis, Shimamoto-san réapparaît un soir de pluie. Celle qu’il a le plus fantasmée lui revient avec les mêmes gestes que dans l’enfance, les mêmes conversations et la même passion pour la musique. Le mystère en plus. Notre Hajime, déstabilisé va-t-il tout laisser tomber pour ce fantôme de femme ?
Jusqu’au bout, le mystère tient. Murakami commence comme une autofiction : son personnage narrateur a 2 ans de moins que lui, il sculpte son corps non par la course à pied mais par la natation, il a un club de jazz. On pourrait continuer encore le jeu des ressemblances… Mais il flirte avec le fantastique à travers l’obsession d’Hajime pour Shimamoto-san et le traitement de ce personnage même, marqué par l’empreinte de la mort.
Le roman nous plonge dans les contradictions de son héros, anticapitaliste lors de ses luttes estudiantines et pur produit de ce système quand il suit les « tuyaux » que lui donne son beau-père. Se disant heureux de sa vie mais ressentant un « vide ». La musique l’accompagne à chaque pas jusqu’à la délicate création de Star-Crossed Lovers de Duke Ellington et Billy Strayhorn qui modèle la « force d’attraction » qu’exerce Shimamoto-san sur lui.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil d’Haruki Murakami, traduit du japonais par Corinne Atlan, 224 pages, 21€, éd. Belfond.