En l’an 935, le gouverneur de Tosa province de la côte méridionale de l’île de Shikoku, est rappelé à Kyoto. Il quitte alors ses fonctions et parcourt, par la mer, les 400 kilomètres qui séparent les 2 villes en 55 jours. Les Japonais n’étant pas de grands navigateurs, ils voyagent par cabotage. Divers endroits infestés de pirates ou de coups de vent subits les font rester à quai. Il s’ensuit divers activités plus ou moins monotones. Seules quelques festivités et soirées bien arrosées font passer le temps. C’est ce que relate Ki no Tsurayki dans son journal ; car le gouverneur est également le plus illustre poète de son siècle. Non seulement, il décrit les péripéties de navigation dans une prose délicate et précise, mais il l’agrémente de poésies, des waka, poèmes de 5 vers très allusifs. L’ennui est tel que tout le monde, sur le bateau, se met à écrire des waka, qui se répondent ainsi 2 à 2 et impliquant une certaine complicité entre les 2 scripteurs. Les érudits parviennent à une grande finesse, tandis que certains autres pêchent par lourdeur.
Ce journal fait date car il a été écrit en écriture féminine : kana, c’est à dire en japonais et non en chinois : kenji, langue savante, administrative et officielle de l’époque. Du fait de sa notoriété, le gouverneur se cache derrière l’identité d’une femme de sa suite pour le faire éditer ! Il impose alors la langue des femmes dans la littérature japonaise. La leçon sera retenue par les auteures de la cour, qui , vers l’an 1000, produiront quantité de journaux intimes selon les mêmes règles et dont le plus célèbre reste le dit du Genji de Murasaki Shikibu. Par la fluidité de l’écriture et la véracité des faits, on a plaisir à accompagner tout ce petit monde qu’un rien met en émoi ! Le journal n’est finalement qu’un prétexte à transcender le quotidien par la poésie.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Le journal de Tosa de Ki no Tsurayuki, présenté et traduit du japonais par René Siffert , Verdier, mai 2018, 96 pages, 13,50€.