Yi Sunil a 72 ans. Avec ses prothèses de genoux, elle sait que c’est la dernière fois qu’elle vient « rendre visite à son passé ». Autrement dit aller à la frontière nord-coréenne où se trouve la sépulture de son grand-père. Et faire démolir sa tombe. Elle sait aussi qu’aucun de ses 3 enfants n’y retournera après sa mort.
Sa fille aînée est trop occupée par sa carrière de vendeuse et sa propre famille, sa cadette vit sa vie et son benjamin est parti à Aukland trouver une vie plus heureuse.
Dans cette quadrilogie dont les 2 premières parties sont parues dans des revues littéraires coréennes, Hwang Juneun (1) nous raconte l’histoire de Yi Sunil et de sa famille. Victime collatérale de la guerre de Corée, dès son plus jeune âge, elle a dû faire face à la rudesse et à la pauvreté grâce à son courage et son abnégation. Préférant taire son passé jusqu’à présent, elle cherche à le raconter à sa cadette Han Sejin. Peut-être parce qu’elle écrit elle-même.
Ces 4 textes polyphoniques lus ensemble parviennent à nous montrer une multitude de facettes des conséquences de cette guerre sur 4 générations de cette famille. Les différents points de vue pointent aussi les difficultés de communication entre ces générations. Les anciens restent attachés aux traditions tandis que les plus jeunes cherchent leur propre voie.
Le style est d’une beauté épurée et d’une grâce éthérée. Il permet de rendre lisible ce devoir de mémoire tant du côté coréen qu’américain. L’autrice admet d’ailleurs bien volontiers qu’elle ne peut en faire le tour à travers la remarque d’une femme, lors de l’intervention d’Han Sejin au Book Festival de New York. Pourquoi ne pas avoir parlé des adoptés coréens ?
Han Sejin, narratrice du dernier texte, est le personnage qui incarne à merveille ce devoir de mémoire dont sa mère l’a faite détentrice, un pont entre passé et avenir. Hwang Jungeun emprunte d’ailleurs le titre de cette dernière partie au film de Mia Hansen Love traduit par ce qui s’approche, résolument tourné vers l’avenir donc.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
1) Hwang Juneun fait partie de la nouvelle génération d’écrivains sud-coréens. Elle est née en 1976 à Séoul et c’est son 3ème livre qui paraît en français.
Une bonne fille de Hwang Jungeun, traduit du coréen par Jeong Eun Jim et Jacques Batilliot, 160 pages, 18,50€, éd. Zoé. En librairie le 5 avril 2024.