S’il est un fléau aussi meurtrier que la guerre, la drogue (quelle qu’elle soit) est bien celui-là. D’ailleurs, les deux font la paire très souvent. C’est en substance ce que nous conte Jean-Pierre Filiu dans son dernier ouvrage, Stupéfiant Moyen-Orient.
L’auteur y met à jour la trame historique du Moyen-Orient en ce qui concerne tous les aspects touchant aux stupéfiants. Et surtout, il démystifie la légende selon laquelle cette région fut une aire de ce fructueux trafic de l’Antiquité à nos jours.
Seules quelques traces antiques nous en révèlent une utilisation parcimonieuse. D’ailleurs, elle y était réservée à une élite cléricale ou politique. À la fin du premier millénaire, cependant, la consommation s’y répand dans toutes les couches de la société. Ceci de façon très diverse selon les peuples et les catégories de psychotropes.
C’est avec l’avènement de l’Islam que la drogue devient un sujet de débat. À la différence de l’alcool, elle n’apparaît pas dans le Coran. De ce fait, elle est tantôt licite, mais plus souvent illicite. Malgré les multiples restrictions, punitions ou laisser-aller, c’est avant tout le peuple qui décide. Ce qui est flagrant en Iran où sa consommation date de près mille ans. Tout le monde s’y adonne. Et, par voie de conséquence, jamais aucun gouvernement n’a pu l’éradiquer. Idem au Yémen où rien n’arrête la mastication du qat, pas même la guerre.
Toutefois, le pays emblématique de sa dépendance à la drogue reste l’Afghanistan. La culture d’exportation du pavot y a pris une ampleur conséquente avec l’avènement de Abdurrahmane à partir de 1880. Il l’encourage afin de se procurer des devises pour lutter contre les Britanniques et unifier son pays. Depuis, il demeure un fléau. Que ce soit sous les Talibans qui l’interdisent ou sous les Américains qui laissent faire les « seigneurs de la guerre ». Ainsi, le pays produit les 3/4 de l’opium illégal qui est consommé dans le monde. Il satisfait aussi, à lui seul, la demande mondiale d’héroïne.
Bien d’autres pays sont finement décryptés dans leur rapport ambigu aux psychotropes, comme le Liban, l’Égypte en passant par le Pakistan et son fameux service de renseignements : l’ISI.
C’est une édifiante plongée historique et géopolitique que dissèque l’auteur au travers de cette addiction mondiale. Elle ne cesse de se métamorphoser pour mieux asservir qui succombe à ses charmes maléfiques. C’est dans un langage clair et précis que Jean-Pierre Filiu permet au lecteur de finement percevoir les arcanes de ces milieux opaques. Les enjeux sont bien souvent contradictoires (voir l’Angleterre pour cela), mais hautement stratégiques pour que de nombreux états (Syrie, Liban, etc.) en tirent un profit considérable. Et par là même, ferment les yeux quand ils ne sont pas complices jusqu’à devenir un narco-état comme le Syrie.
Voilà un livre, en effet, stupéfiant !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Stupéfiant Moyen-Orient, Jean-Pierre Filiu, 224 pages, éd. Seuil.