En 2019, pour ses 100 ans, Michaël de Saint Chéron et Matthieu Séguéla consacraient au grand peintre Pierre Soulages, un livre fait de rencontres. Entre les auteurs et leur sujet d’abord ; mais aussi, tel un triangle d’or, entre son art, l’Afrique noire et le Japon. Il est réédité aujourd’hui avec quelques pépites ajoutées jusqu’au 25 octobre 2022, date de sa mort.
En plus de 80 ans de création, l’outrenoir est devenu la « marque de fabrique » de l’artiste. Sitôt son arrivée à Paris, il participe à plusieurs expositions collectives dont le premier Salon de Mai en 1951. Il y rencontre des calligraphes japonais du groupe d’avant-garde Bokujin « les hommes de l’encre ». Dès 1953, avec eux, il expose à la galerie tokyoïte Bokubi et participe à l’International Art Exhibition, biennale itinérante au Japon qui lui attribue son grand prix en 1957. A partir de là, un dialogue artistique et culturel s’engage entre l’artiste et le pays du Soleil levant.
Le livre analyse l’outrenoir, entre autres, à la lumière de ses différences et parentés avec la calligraphie japonaise. « De là, peut-être, un intérêt chez Soulages pour les notions de vide et de plein, un goût pour l’esthétique de la calligraphie qu’il apprécie en tant qu’œuvre abstraite sans avoir besoin d’en comprendre le sens » analyse Matthieu Séguéla historien et enseignant chercheur associé à l’Institut français de recherche sur le Japon.
Soulages revendique cependant le fait que ses images n’ont rien à voir avec la calligraphie. « Mes lignes ne montrent pas la trace d’un mouvement » indique l’artiste qui ne veut pas que ses œuvres révèlent les états d’âme de leur auteur. En 1992, il reçoit le Praemium Imperiale, le « Nobel de l’art japonais » le consacrant ainsi comme l’artiste majeur qu’il est ! En 2021, il est décoré, à Sète, de l’ordre du Soleil levant par l’ambassadeur du Japon en France.
Outre l’analyse de l’œuvre polyphonique, le livre est agrémenté de nombreuses illustrations d’œuvres de toutes périodes et de tous genres : sérigraphies, vitraux de l’abbatiale de Conques, lavis au brou de noix sur papier et ses grandes peintures noires.
La présente édition fait aussi dialoguer les photographies du peintre et de son atelier de deux photographes japonais, à des décennies de distance. Il s’agit de celles de Tetsuo Abe, à Paris, en 1958 et celles de Hiroshi Watanabe, à Sète, en 2018. Elle présente aussi un poème coréen que Michaël de Saint Chéron fait découvrir au couple Soulages le 19 février 2020 et qui fait fort impression au peintre. « Le noir ou lumière foncée (invisible) » de Kim Hyon-sung semble avoir été écrit pour l’œuvre de Soulages qui cherchait la lumière.
Une très bonne donc approche de l’œuvre mettant justement en lumière ses différentes lectures avant de s’immerger dans le musée Soulages de Rodez !
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Soulages, d’une rive à l’autre, de Michael de Saint Chéron et Matthieu Séguéla, format 17 x 24 cm, 104 pages, 26,80 €, illustrations en quadri, éd. Actes Sud. Paru le 3 mai 2023 en librairie.