« Sale » guerre en Indochine Souvenirs d’un journaliste de l’AFP de Nie Chongrui et Natalie paraît chez Mosquito.

Natalie est la fille de François du Sorbier, journaliste à l’AFP durant les 8 ans que dura la guerre d’Indochine et de Charlotte Raveau, anesthésiste à l’hôpital militaire Grall de Saïgon. Née là-bas en 1954, elle veut comprendre « ce qui avait tourmenté [son] père, ce qui s’était passé dans ce « sale » pays » alors que le carton de photos qu’elle exhume de cette période n’évoquait « qu’exotisme et douceur de vivre ».

Elle retrace de façon précise et didactique, année après année, et au plus près des événements cette « sale » guerre. La reconstitution en est très fidèle. Elle en montre même le dessous des cartes. Comme le rapport Revers qui fit grand bruit, en 1949, « qui [disait] tout haut ce que d’autres [pensaient] tout bas ». Elle n’élude pas la censure qui empêchait les journalistes de dire ce qu’ils savaient sous peine de perdre leur accréditation, ni la propagande.

Elle explique bien l’implication de la Chine dès 1950, qui rebat les cartes. « La France consternée comprit qu’il faudrait désormais compter avec la Chine, on était en pleine guerre froide ». Les différents scandales sont aussi évoqués. Politiciens et généraux en prennent pour leur grade jusqu’à la fameuse « sortie honorable », plus justement nommée par Natalie « chronique d’une bataille perdue d’avance ».

Heureusement, l’autrice entremêle à ce récit sur l’incurie politique et militaire, que son grand-père résume ainsi : « des intrigants ont monté cette guerre et fait tuer de braves gens pour gagner de l’argent », celui de la vie quotidienne du couple. La lune de miel à Angkor, la naissance de Bouzi, la sœur aînée de Natalie et sa nounou vietnamienne. Et puis les amitiés fortes de François avec Gabor, le mystérieux interprète de Cholon, le photographe Raoul Coutard et le musicien nationaliste Luong Ngoc Shau. Comme des respirations douces à travers l’enfer puis le chaos.

Le dessin du Chinois Nie Chongrui, qui est également l’époux de Natalie, est pour beaucoup dans la grande réussite de cet album. Bien que naturaliste, son trait reste très graphique. La subtilité de ses grisés rend aussi bien compte de la violence des scènes de guerre ou d’attentats vietminh que de la force d’un buffle marquant son territoire. Le noir et blanc restitue à merveille et de façon unique les diverses ambiances : travail journalistique, expéditions, combats, intimité…

La mise en page est très aérée bien que dense, grâce à l’équilibre entre textes et vignettes savamment agencés.

Un somptueux album ! Comme toujours chez Mosquito.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON « 

Sale » guerre en Indochine de Nie Chongrui et Natalie, 24 x 30 cm, noir et blanc, 128 pages, 25 €, éd. Mosquito. En librairie depuis octobre 2025.

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