Plus qu’un roman, Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique est un « roman-haïku » (dixit l’auteur lui-même) car c’est moins ce qui arrive au narrateur, que sa relation aux différents arts qu’il côtoie et qu’il sonde qui importe. Ce dernier est peintre de style occidental. Il va chercher la plénitude et la sérénité loin du tumulte de la ville. Il prend pension en montagne, dans la station thermale de Nakoi pour s’exercer à l’impassibilité donc au détachement. Il se rend par exemple au bord d’un lac pour peindre et, petit à petit, la nature l’absorbe et l’entraîne dans une profonde méditation. Il rencontre aussi une jeune femme extravagante. Mais c’est surtout à l’observation de la nature qu’il médite sur l’art, rêve de peindre le tableau idéal et écrit des haïkus tout au long du récit. Ils ponctuent ce dernier auxquels répond parfois la jeune femme.
Sôseki (1867-1916) est l’un des plus grands écrivains de l’ère Meiji. Professeur d’anglais à l’université de Tokyo, il se consacre vite exclusivement à l’écriture. Très connu pour ses haïkus, il livre dans ce roman original sa conception de l’art tant oriental qu’occidental, de l’écriture, de la poésie et du roman. Un peu comme au fil des promenades du narrateur en montagne qui laisse vagabonder son esprit.
Le livre, d’une grande originalité, est parsemé de peintures sur soie, illustrant à merveille les situations du narrateur, tout en couleurs, double page, à l’initiative de l’éditeur. Cette nouvelle traduction d’Elisabeth Suetsugu est délicate et subtile, elle permet au lecteur une véritable identification au narrateur. Bien que de poche, l’ouvrage est un réel objet esthétique et dépasse de loin ses prérogatives. On le quitte à regret et lontemps il nous reste en mémoire nourrissant notre propre méditation sur la création et sur l’art.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique, Sôseki, Picquier poche, 256 pages, 10€, avril 2018.