Mon amie de plume de Yiyun Li paraît aujourd’hui chez Belfond.

« Il arrive […] que la mort d’un être soit le certificat de libération d’un autre » écrit Agnès, la narratrice du nouveau roman de Yiyun Li (1), en 1966. Elle a 27 ans. En effet, après diverses considérations sur sa vie actuelle : sans doute autrice, Française vivant en Amérique avec son mari américain, cultivant son jardin et élevant des oies, n’ayant pas d’enfants ; elle commence, dès le chapitre 2, sa narration de l’histoire de Fabienne, sa conscrite.

Elle vient d’apprendre sa mort dans une lettre de sa mère. Elles étaient les meilleures amies du monde à St Rémy, dans la campagne française pauvre de l’après guerre. Elles avaient 13 ans et rien ne les intéressait plus que les histoires et les jeux qu’elles inventaient ; ou plutôt que Fabienne inventait. Vivant ainsi dans une bulle d’imagination et de rêve, elles échappaient à la rudesse de leur condition.

Des 2 adolescentes, Fabienne se définissant elle-même comme, « perturbatrice de Dieu », était la plus intelligente. La narratrice la suivait dans toutes ses inventions et ses affabulations. C’est ainsi qu’elles se mirent à écrire un livre : Fabienne inventait, Agnès recopiait. Et elles s’adjoignirent le receveur des postes : M. Devaux, qui en ferait un livre.

C’est bien ce qui arriva, mais Fabienne resta toujours dans l’ombre et le nom de plume fut celui d’Agnès Moreau. C’est elle qui monta à Paris, fut l’objet de plusieurs reportages photos et interviews. Elle s’y prêta de bonne grâce et une certaine Mme Townsend l’invita même dans son école d’étiquette de Woodsway pour y apprendre les bonnes manières et se forger une solide culture.

Agnès accepta tout, non pour la gloire, mais pour Fabienne.

Le roman est ainsi une mise en abyme de lui-même, comme aime à s’y employer Yiyun Li. L’écriture y tient une grande place, jusque dans son aspect très pratique : cahiers, écriture, machine à écrire, journal et même lettres.

Mais outre cette féroce histoire d’amitié féminine, de sororité fusionnelle et ce roman d’initiation et même d’apprentissage, ce sont toutes les digressions qui rendent le livre très séduisant. Agnès digresse tout le temps et avec beaucoup d’humour, sur la stérilité de son couple, sur la célébrité ou bien l’Amérique. Elle est aussi prolixe en descriptions et métaphores, notamment dans les portraits. Le jardinier de Woodsway, Meaker à la tignasse rousse devient pour la jeune « écrivain » un nid à oiseaux. Ses raccourcis sont aussi savoureux. Ainsi elle résume ses aventures en 3 étapes : « gardeuse de cochons à la campagne, puis écrivain publiée à Paris, enfin apprentie fille du monde en Angleterre ».

Le plus poignant reste le portrait de Fabienne, trop immense pour vivre dans ce monde et n’ayant pas eu la chance de transcender cette immensité dans l’art. Destin tragique.

Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON

(1) Lire notre chronique de son précédent roman :https://asiexpo.fr/partir-quand-meme-de-yiyun-li-parait-chez-belfond/

Mon amie de plume, Yiyun Li, roman traduit de l’anglais par Clément Baude, 336 pages, 22€, éd. Belfond. En librairie le 28 août 2025.

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