Je sais bien qu’il n’y aura jamais qu’une seule Garbo, et que ce titre est à la fois abusif et réducteur. Mais il n’est pas, pour autant dénué de tout fondement.
Tout d’abord, il faut noter qu’elles sont toutes deux considérées comme des icônes au sein de leurs cultures respectives (américaine d’adoption pour Garbo). Tsui Hark (qui a imposé la Taïwanaise dans le cinéma de Hong Kong avec des titres comme “Zu, les Guerriers de la Montagne Magique”, “Peking Opera Blues” ou “L’Auberge du Dragon”) disait : “Lin Ching-hsia est la représentation idéale de la femme chinoise. Elle a cette beauté classique, un peu froide, impressionnante, mais surtout, il y a chez elle ce sens du devoir et des responsabilités qui l’écrase, autant dans ses rôles que dans la vie d’ailleurs.”
Néanmoins, elle reste impassible, en apparence, malgré les malheurs qui l’accablent de film en film. Abattue par Donnie Yen dans “L’Auberge du Dragon”, elle se sacrifie pour le bien commun dans “Zu”. Dans “Les Cendres du temps”, elle sombre d’abord dans la folie avant de périr à l’issue d’un duel épique et irréel avec son propre reflet !
Garbo n’a pas eu un destin cinématographique plus enviable : tuberculeuse (Le roman de Marguerite Gautier), suicidée (Anna Karénine), fusillée (Mata Hari), chassée de son royaume et son amant abattu (La reine Christine), et la liste n’est pas exhaustive.
Les deux actrices se distinguent aussi par leur jeu “minimaliste”. Cette caractéristique aida sans doute Garbo à survivre au passage du muet au parlant, les autres comédiens de l’époque ayant un jeu forcément outré. Dans la colonie, où le cabotinage est (presque) une marque de fabrique, Lin Ching-hsia fait figure d’exception. Certains le lui ont même reproché. Dans son livre, consacré au cinéma hongkongais, Bey Logan notait : “le public local est prêt à payer pour voir l’éternelle jeune Melle Lin se contenter d’agiter les bras en souriant de façon énigmatique”. (Hong-Kong Action Cinema, p 166).
En fait la différence principale qui existe entre les deux comédiennes vient surtout de la prolixité avec Lin Ching-hsia à interpréter des personnages androgynes.
Garbo se travestit bien dans “La Reine Christine”, mais ce n’est que pour échapper aux vicissitudes de la cour. L’ambiguïté sexuelle n’est que l’occasion d’épisodes légers.
Il faut noter au passage la frilosité de Hollywood sur le thème. “Sylvia Scarlett”, par exemple, justifie le travestissement de son héroïne (Katharine Hepburn) à travers une scène mélodramatique qui fut rajoutée à la fin du tournage par peur de la réaction du public (et de la critique ?). ce qui n’arrange pas un film déjà assez médiocre.
Le récent “Mulan” de Disney nous rappelle, par contre, que le travestissement est chose courante dans l’imaginaire chinois, déjà maintes fois illustré depuis les Wu Xia Pian de la Shaw (le duo Josephine Siao Fong-fong / Chan Bo-cau), jusqu’à “Adieu ma concubine” où Leslie Cheung incarne un acteur d’opéra qui a du mal à abandonner son rôle de concubine.
Sous la houlette de Tsui Hark et de Ching Siu-tung, Lin Ching-hsia devint la titulaire du rôle de l’Invincible Asia, qu’elle incarnait dans “Swordman 2” et dont pratiquement seul le nom changeait au sein de la quinzaine de titres (en trois ans !) qu’elle consacra au genre.
Parmi ses autres rôles marquants on retiendra la révolutionnaire (travestie !) de “Peking Opera Blues”, la tueuse sans nom portant imperméable, lunettes noires et perruque blonde de “Chungking Express”, la belle renarde de “Jiang Hu / The Bride with white hair” et sa participation au premier “Police Story” de Jackie Chan, sans oublier la femme écrivain prise dans la tourmente de l’histoire dans le mélo “Red Dust” qui lui valut un Golden Horse (les Oscars Taïwanais) en 1990.
Finalement, elle quitta la profession en 1994, en pleine gloire, comme la Divine. Néanmoins les circonstances étaient différentes. Cette retraite étant due à son mariage (ce qui est toujours synonyme de retraite pour une actrice chinoise).
On peut quand même remarquer que Garbo s’est retirée au début de la seconde guerre mondiale alors que Lin Ching-hsia a fait de même juste avant un autre bouleversement : la rétrocession de Hong Kong à la Chine.
Ironiquement, Julien Carbon donna “La Femme au deux visages” pour titre à un article qu’il consacra à la belle Taïwanaise (dans la feu revue HK). Ce fut également le titre du dernier film d’une certaine Greta Garbo.
Pays : France