Le protagoniste vient juste d’accepter un mariage arrangé. Sa belle-famille possède une vieille demeure dans l’ancien Pékin. Elle vaut une petite fortune. En Chine, l’enrichissement quel qu’il soit reste le maître mot selon Deng Xiaoping.
Toutefois, ce n’est pas l’argent qui intéresse le narrateur. Il mène une vie simple au sein de sa famille qu’il protège de son mieux ainsi que celle de son épouse. En effet, il est chargé par le gouvernement chinois de surveiller le cyberespace.
Tout au long de l’ouvrage Les Portes de la Grande Muraille écrit par S. X. (un pseudonyme), il nous dévoile les agissements cachés de l’état policier en place. Pour ce faire, le narrateur a créé un programme chargé d’alimenter un anti-dictionnaire. Tous les mots prohibés sur les réseaux sociaux y sont enfermés. Non seulement, chaque individu est tracé par la reconnaissance faciale, mais aussi par sa seule démarche dans la rue. C’est le règne de la censure !
Cependant, de par sa position, le protagoniste a accès à l’autre côté du grand pare-feu numérique. Il accède ainsi aux informations interdites. L‘existence même de ce qui s’est passé à Tien An Men ou bien les explosions de Tianjin.
Voilà de quoi remettre en cause la position confortable qu’il occupe en bon petit soldat du système. D’autant que la répression touche tout le monde. À commencer par ses collègues de travail qui disparaissent progressivement. Et surtout certains membres de sa famille sont priés de « venir prendre le thé » au poste de police. Sous cette expression conviviale, les citoyens se font rappeler à l’ordre, voire incarcérer.
Cependant ce beau mécanisme peut sombrer dans le chaos ou dans la révolution à tout moment tellement il dysfonctionne. N’est-ce pas d’ailleurs le sens de la numérotation du dernier chapitre ?
À travers un style faussement désinvolte au début l’auteur nous fait découvrir le quotidien de simples citoyens. Si la censure gouvernementale à l’œuvre n’échappe pas à son analyse, celle de son traitement de la pandémie de Covid-19 non plus. Toutefois, de la multitude de tracasseries mises en place émerge un chant d’amour pour la ville de Pékin. Il est symbolisé par la chanson leitmotiv, Portes, ouvrez-vous. Métaphore évidente de la volonté de l’auteur qui a quitté la Chine pour vivre aux États-Unis.
Le roman est un regard perçant de l’intérieur, sans concession, sur la Chine contemporaine qui échappe totalement aux citoyens en les déresponsabilisant au profit d’un Big Brother pas très maîtrisé.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
Les portes de la Grande Muraille de S. X., roman traduit du chinois par Emmanuelle Péchenart, 256 pages, 21,10 €, éd. Zulma. En librairie le 7 avril.