La Turquie est si proche de l’Europe géographiquement et si loin idéologiquement. C’est ce que nous explique Jean-François Colosimo dans son dernier ouvrage : le Sabre et le Turban. Il y répond à cette question « Comment, en un siècle, la Turquie a-t-elle basculé du désir de rejoindre l’Europe à la volonté de dominer l’Oumma ? (1)
Fort renommé, l’auteur est spécialiste du christianisme et de l’orthodoxie. Il est aussi lanceur d’alerte pour les chrétiens d’Orient. Grâce à un regard alterné entre Mustapha Kemal et Recep Tayyip Erdogan, il analyse remarquablement l’histoire tourmentée d’un immense empire dépecé au traité de Sèvre en 1920.
Afin de lui faire retrouver sa place dans le concert des nations, les dirigeants successifs turcs n’ont de cesse de reconquérir, par l’armée, des morceaux d’empire. Ils souhaitent aussi un peuple ethniquement pur. En 1923 la nouvelle république « laïque » d’ Atatürk contraint ainsi à l’exil sa minorité grecque. Sans parler du génocide arménien peu auparavant. Si bien que sans être religion d’État, l’islam sunnite se retrouve dans la Constitution au travers de la Diyanet : la Direction des affaires religieuses. Il faut savoir que l’État en Turquie est laïc parce qu’il reconnaît et finance le culte insiste l’auteur.
De plus, au gré des renversements du pouvoir suivis de longues dictatures militaires l’islam politique phagocyte peu à peu les gouvernements successifs. C’est ce dont profite, en ce moment même, Erdogan en soumettant l’armée à la religion. Grâce à l’épuration, suite au coup d’état manqué de 2016, le nouveau sultan se prend à rêver d’un empire retrouvé et plus encore de la direction de l’Oumma.
Le sous-titre du livre, en effet, en dit long sur l’ambition démesurée du président actuel, prêt à restaurer le Califat. Surtout si on le laisse agir à sa guise comme a tendance à le faire, l’Union Européenne depuis de nombreuses années.
Le livre s’articule ainsi autour d’une trentaine d’entrées, par lesquelles l’auteur nous enseigne la riche histoire de l’empire Ottoman jusqu’à l’avènement du Reis de l’AKP.
Ce qui surtout retient l’attention du lecteur, c’est la propension de l’Occident à s’illusionner sur l’occidentalisation du pays depuis Atatürk. Sans même parler de son hypothétique adhésion à l’Union Européenne. En effet pour l’instant les principales forces d’opposition à Erdogan sont démunies malgré quelques faits de résistance (comme la mairie d’Istanbul perdue par le Reis). Le président turc a si bien manœuvré que, pour le moment, il semble difficile d’entrevoir la moindre tentative de travail de mémoire. Ceci pour qu’enfin le pays soit pacifié et accède ainsi à un futur démocratique.
Analyse très éclairante pour mieux comprendre les ambitions hégémoniques d’Erdogan.
Camille DOUZELET et Pierrick SAUZON
(1) L’Oumma est « la nation islamique » tout entière.
Le sabre et le turban. Jusqu’où ira la Turquie ? Jean-François Colosimo, 210 p., 15€, éd. Le Cerf